reux qui, dans une explosion de la houillère, avait perdu une jambe et un bras. Il vivait d’une petite pension et de la charité publique ; tout le monde, à W… avait pitié du pauvre infirme.
Or, Annette le savait, Ludger ne passerait pas, sans lui adresser la parole, ainsi qu’il le faisait chaque jour.
— Eh ! bien, Mlle Annette, fit-il, s’approchant de la jeune fille et flattant Guido, comment avez-vous passé la journée ?
— Bien, très bien, M. Poitras. Et vous ?
— Comme ci, comme ça, Mlle Annette.
— Et Lina, la chère petite, comment va-t-elle, de ce temps-ci ?
— Ah ! La pauvre ! s’exclama Ludger. Elle a essayé de se lever, ce matin, mais elle a dû se remettre au lit immédiatement, car elle s’est mise tout de suite à cracher le sang.
— Pauvre, pauvre petite Lina ! fit Annette.
— Peut-on tant souffrir, à son âge ! sanglota Ludger. La seule enfant qui me reste d’une famille de cinq… Dire qu’elle n’a que dix ans et…
— Tenez, M. Poitras, prenez ce billet de banque, dit l’aveugle, et achetez-lui quelque chose à Lina.
— Non ! Non ! Impossible !
— Prenez, je vous prie !
— Mais… Vous ne le savez pas peut-être, Mlle Annette, dit Ludger ; c’est un billet de deux dollars que vous m’offrez là.
— Deux seulement ? s’écria Annette en souriant. Je voudrais bien être fée ; je le changerais en un billet de cinq.
— Je ne puis pas l’accepter… Ce serait… ce serait… voler, en quelque sorte, me semblerait-il.
— Prenez ; c’est pour Lina… Vous me ferez beaucoup de peine si vous refusez de le prendre… Et dites à votre petite que j’irai la voir, sous peu.
— Voilà qui lui fera plaisir par exemple ! Elle parle souvent de vous, Mlle Annette, et elle vous aime plein son petit cœur, la chérie.
— J’irai sans faute la voir ; je me ferai accompagner de Mme Francœur.
— Ah ! Voilà une bonne idée ! Elle est bien bonne pour ma petite Lina cette excellente dame, elle aussi !
— Mme Francœur est la meilleure personne au monde, je crois !
— Savez-vous, Mlle Annette, dit soudain l’infirme, avec une partie de cet argent que vous venez de me donner, j’achèterai des remèdes pour Lina ; elle n’en a plus, depuis hier la pauvre enfant. Puis, je lui achèterai des oranges, pour calmer sa soif. Merci ! Merci !
Quand Ludger fut parti, Annette se pencha sur son chien et murmura, tout comme s’il pouvait la comprendre:
— Tu sais, Guido, cet argent que Mlle d’Azur m’avait donné, je ne pouvais pas le garder… non, je ne le pouvais pas; il m’eut porté malchance, j’en ai la certitude !
Ce-disant, elle saisit la chaîne attachée au collier de son chien et se dirigea vers le sinistre Sentier de Nulle Part, conduisant à la non moins sinistre Maison Grise.
Chapitre VIII
CE BON PATRICE !
Pendant le souper, ce soir-là, Mme Francœur posa à ses pensionnaires une question, bien simple pourtant, mais qui sembla embarrasser beaucoup M. et Mlle d’Azur.
— À quelle messe désirez-vous assister, demain ? leur avait-elle demandé.
— Hein ? s’écria Richard d’Azur… Mais… je… je…
Luella s’était penchée sur son assiette et elle se mordillait doucement les lèvres, comme pour s’empêcher d’éclater de rire.
— M. et Mlle d’Azur ne connaissent pas les heures des messes, je crois, Mme Francœur, fit remarquer Yvon.
— Ah ! Tiens ! C’est bien vrai ! s’exclama la brave femme. La basse messe est à huit heures et la grande à dix heures et demie.
— Nous irons à la grand’messe alors, se hâta de répondre Luella, en échangeant avec son père un coup d’œil rapide.
— Précisément ! dit Richard d’Azur, avec empressement.
— Mon mari et moi, nous allons toujours à la basse messe, reprit