Page:Lacerte - Bois-Sinistre, 1929.djvu/93

Cette page a été validée par deux contributeurs.
91
BOIS-SINISTRE

d’après l’ordre de Béatrix, en hospice pour les vieillards ; quant à l’argent, elle l’avait placé, c’est-à-dire qu’elle l’avait donné pour l’érection de l’orphelinat de Roc-Nu. C’était donc grâce à la générosité de Béatrix que j’avais pu voir mon rêve se réaliser si tôt.

L’orphelinat est connu sous le nom de « l’Orphelinat Sainte-Marie » et j’y passe bien des heures heureuses, entourée de mes chers petits orphelins, qui me font fête, chaque fois que je vais leur rendre visite, ce que je ne manque pas de faire, au moins deux fois la semaine.

 

Quand le vent pleure, se plaint, mugit, siffle ou hurle à travers les sapins, nous n’en faisons presque plus de cas maintenant, tant il est vrai qu’on se fait à tout, ici-bas ; et puis, nous savons qu’il n’y aura plus jamais de tragédie dans le petit bois, jamais. Même, petite Marita, ma filleule, joue avec ses poupées et jouets dans le bocage, aujourd’hui…

C’est que j’ai fait clôturer tout le bord du promontoire tombant à pic dans le Lac Judas, et cette clôture n’enlève rien au charme, au pittoresque du paysage. Des fragments de rochers ont été roulés jusqu’au bord du précipice et cimentés sur place. Pour ceux qui ne le savent pas, ces rochers paraissent avoir été là depuis le commencement du monde. Impossible qu’il y ait d’accidents maintenant ; pour rouler dans le lac, il faudrait le vouloir vraiment, car la clôture s’élève à près de cinq pieds de hauteur.

 

Ainsi se terminent mes « mémoires ». J’espère que j’ai réussi à vous intéresser, chers lecteurs.

Si mes affaires personnelles peuvent vous intéresser aussi, je vous dirai que je suis encore « Mme Philippe Duverney », et je pense bien que je resterai « Mme Philippe Duverney » jusqu’à la fin de mes jours.

Mes amis se sont étonnés, plus d’une fois, et ils se sont demandés pourquoi je ne convolais pas en secondes noces… Je ne le sais pas vraiment… J’ai rencontré, en plus d’une occasion, des hommes aimables, charmants et distingués… Mais jamais je n’ai pu les comparer favorablement avec mon Philippe… encore.

Mon orphelinat… Ma filleule… L’entretien de Bois Sinistre ; voilà ce qui remplit ma vie… pour le moment du moins…

D’ailleurs, je commence à croire que je suis une de ces femmes, assez rares parait-il, auxquelles un seul amour suffit… pour la vie.


FIN