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BOIS-SINISTRE

sous l’impression que le crime avait été commis… c’est-à-dire loin, bien loin de ma propriété… Et Caïn, le valet nègre d’Aurèle Martigny, qui expierait sur l’échafaud probablement, le meurtre de son maître, Caïn ne dit mot pour les détromper… Je ne comprenais pas ! Non, je ne comprenais pas !…

La cause fut envoyé aux Assises, qui ouvriraient dans cinq semaines… et de nouveau, une époque d’inquiétudes et de malaise commença pour nous…

Quant à moi personnellement, je savais que j’allais tomber malade ; je sentais toujours le besoin de me coucher, durant le jour, chose à laquelle je n’étais certes pas habituée : la vie est trop courte vraiment, pour en gaspiller la plus grande partie à dormir ; du moins, c’est là mon opinion, ou, si on le veut, ma manière de penser.

Mme Duverney, me dit Mlle Brasier un après-midi, quinze jours après l’examen préliminaire de Caïn, je crois fermement que, à moins que vous ne vous absentiez, que vous ne quittiez Bois-Sinistre pour quelque temps, vous finissiez par tomber gravement malade.

— Que voulez-vous que j’y fasse, Mlle Brasier ? demandai-je en haussant les épaules. Je n’y puis rien.

— Vous y pouvez beaucoup, au contraire… vous y pouvez tout, même. Pourquoi ne partez vous pas en voyage ?… Il vous faudrait de la distraction : sans quoi… Si vous le désirez, je vous accompagnerai.

— Partir pour voyage, dites-vous, Mlle Brasier ! Impossible ! Je ne pourrais songer, même un instant, d’abandonner Béatrix, de lui laisser faire face, seule, à… ce qui nous attend peut-être, n’est-ce pas ?

— Béatrix pourrait nous accompagner…

— Elle n’oserait pas, vous le pensez bien… et nous, nous ne pouvons pas l’abandonner, je le répète.

— L’abandonner ? Certes non ! Cette pauvre Béatrix ! La chère enfant !

— Puisque nous parlons de Béatrix… que diriez-vous de l’idée d’aller lui rendre visite ? Êtes-vous assez sport pour marcher d’ici aux Pelouses-d’Émeraude ? Une bonne longue promenade à pied ; voilà qui devrait nous remettre sur le ton, ce me semble : marcher, cela fouette le sang.

— Votre idée est bonne, Mme Duverney ; partons !

— Oui, partons ! Il y a plusieurs jours que nous n’avons pas vu Béatrix ; il me tarde de la revoir.

Nous habillant à la hâte, nous partîmes pour les Pelouses-d’Émeraude.

Comme nous arrivions au bout de L’Avenue des Cèdres, nous aperçûmes Béatrix ; elle venait à Bois-Sinistre, évidemment.

— Voilà Béatrix ! dit Mlle Brasier.

— Comme elle est changée la pauvre enfant ; si pâle, si maigre…

Son costume de veuve lui donne un air tout éthéré, je trouve.

— Eh ! bien, je ne crois pas qu’elle le porte longtemps… son costume de veuve je veux dire, répondis-je en souriant, Rocques reviendra bientôt et…

Mme Duverney ! Mlle Brasier !

— Béatrix !… Nous nous rendions chez-vous, annonçai-je.

— Et moi, je venais chez-vous, fit-elle en riant.

— Télépathie… murmurai-je.

— Qu’allons-nous faire ? demanda la jeune femme ; irons-nous aux Pelouses-d’Émeraude ou bien resterons-nous à Bois-Sinistre ! Quant à moi, ça m’est parfaitement égal, du moment que nous serons ensemble.

— Retournons chez moi, proposai-je ; nous en sommes plus près que de chez-vous. Allons !

— J’ai quelque chose de très important à vous communiquer, fit-elle, entre haut et bas. Pas ici cependant ; les cèdres ont peut-être des oreilles, vous savez !

Non, ça ne ferait pas de se dire des secrets ici ; si les cèdres n’avaient pas d’oreilles, il pourrait fort bien y avoir quelqu’un de caché sous les arbres ; on ne savait jamais… Le détective… N’était-il pas un peu partout ? Quoique le meurtrier eut été trouvé, il y avait le couteau qui n’avait pas été découvert, qui ne le serait jamais, mais à la recherche duquel le détective se livrait éperdument paraissait-il.

Nous nous dirigeâmes vers la maison…

Qu’il nous tardait d’être mises au courant « des choses importantes » que Béatrix avait à nous communiquer ! Bien sûr, cela se rapportait à ce qui nous occupait, nous préoccupait, nous inquiétait tant !

Rencontrant Prospérine dans le corridor, je lui dis, indiquant Béatrix :

Mme Martigny va rester à souper avec