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BOIS-SINISTRE

verney ? Ni vous, Mlle Brasier ? demanda notre visiteuse.

— Mais… non…

— C’est que je vous trouve excessivement changées, toutes deux ; pâles, maigres…

— Oh ! Notre santé est assez bonne, Mme Martigny, me hâtai-je de répondre. Maintenant repris-je, parlez-nous de votre voyage.

Elle nous parla des pays qu’elle avait visités, puis elle ajouta :

— Imaginez-vous que nous allions partir pour le Japon, quand nous reçûmes le câblogramme nous annonçant la mort si tragique d’Aurèle ! Nos plans s’en sont allés à l’eau alors, vous le pensez bien, et mon mari a résolu de revenir tout de suite. La mort de son frère l’a beaucoup affecté.

— Je n’en doute pas, répondis-je, pour dire quelque chose. Nous avions vu dans les journaux l’annonce du retour des Martigny.

— Pour vous dire la franche vérité, dit Mme Martigny, je ne crois pas qu’Aurèle se serait donné tant de peine pour Eustache, si celui-ci eut été mort. Non vraiment, je ne vois pas mon beau-frère interrompant un voyage intéressant pour accourir ici se mettre à la recherche de son frère comme l’a fait mon mari. Mon beau-frère n’eut pas pris la chose tant à cœur, car il était d’un égoïsme rare, ce pauvre Aurèle !…

— « Ne disons que du bien des morts » dis-je, répétant une phrase qui avait été dite devant moi déjà.

— C’est vrai ! Vous avez raison, Mme Duverney, répondit Mme Martigny contrite. Pauvre Aurèle !… Que Dieu ait pitié de son âme !

— Amen ! dis-je gravement.

— Savez vous, reprit Mme Martigny, je ne suis pas encore allée rendre visite à Béatrix, ma petite belle-sœur !

— Vraiment ? m’écriai-je.

— Le fait est que je ne la connais pas Béatrix… seulement de vue.

— Elle serait contente de faire votre connaissance, j’en suis sûre ! Elle a besoin de consolations et de sympathies cette pauvre Béatrix, dit Mlle Brasier.

— J’aimerais à aller la voir : mais je n’aime pas à y aller seule. Ne m’accompagneriez-vous pas, Mme Duverney, et vous aussi, Mlle Brasier ?

— Une telle chance d’aller rendre visite à Béatrix ! J’allais saisir l’occasion par les cheveux !

— Je vous accompagnerai, avec plaisir, annonçai-je. Que penseriez-vous d’y aller cet après-midi ?

— Ce serait une excellente idée !

Je donnai ordre à Zeus d’atteler les chevaux à la berline et nous partîmes, Mme Martigny et moi. Mlle Brasier ayant refusé de nous accompagner.

Béatrix… En l’apercevant, je faillis crier ; elle était maigre, changée, au point d’en être à peine reconnaissable ! Elle aussi paraissait être dans un grand état d’énervement.

— Chère, chère enfant, dit Mme Martigny, en s’adressant à la jeune veuve, mon cœur saigne pour vous… Ce pauvre Aurèle ! Faut-il avoir une si triste, une si tragique fin !

— Ne… Ne… parlez pas, je vous en prie ! s’écria Béatrix.

— Non, je n’en parlerai pas, chère enfant, promit cette bonne Mme Martigny.

— Je désire vous remercier du fond du cœur pour les exquis cadeaux de noces que vous m’avez envoyés, de Paris, chère Mme Martigny, dit Béatrix. C’était si aimable de votre part, car vous ne me connaissiez seulement pas… Mais, dites-moi, mes amies, fit la jeune femme tout à coup, en s’adressant à sa belle-sœur et à moi, y a-t-il de nouveaux développements… de nouvelles découvertes ?… Le détective a-t-il trouvé quelque chose de nouveau, quelque chose qui n’était pas connu déjà ?

— Je ne le crois pas, répondit Mme Martigny. Cependant, je ne suis guère au courant, car mon mari est excessivement réservé et discret et jamais il ne me fait de confidences… Si j’apprenais quelque chose d’intéressant ou de nouveau, Béatrix, je vous promets de vous le dire.

— Je le voudrais bien ! C’est… c’est… intolérable ce suspend… L’inquiétude… l’anxiété… les soucis…

— Je comprends, je comprends parfaitement, pauvre enfant ! assura Mme Martigny, et c’est bien naturel ; vous voulez que le meurtrier de votre mari soit arrêté et puni ainsi qu’il le mérite…

— Oh ! Taisez-vous ! Taisez-vous, de grâce ! cria Béatrix.

Mme Martigny parla d’autre chose et le reste de notre visite fut agréable.

Cinq heures sonnaient lorsque nous nous