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BOIS-SINISTRE

de Béatrix, ajoutai-je, si vous voulez bien la coucher sur le canapé du salon.

— Merci, chère Madame, merci ! fit-il. Mais, voyez ; elle reprend lentement connaissance. je crois.

— Ses yeux sont ouverts, dit Mlle Brasier, Béatrix ! appela-t-elle.

— Ça va mieux, je l’espère ? demanda le Docteur Foret.

— Oui… murmura-t-elle.

— Nous allons vous soigner, Mlle Brasier et moi, Béatrix, dis-je en souriant.

— Ô Mme Duverney ! supplia-t-elle, en se cramponnant à moi, ne me quittez pas ! Pour l’amour de Dieu, ne me quittez pas ! Mlle Brasier, restez avec moi, n’est-ce pas ?

— Nous allons passer la nuit ici, Béatrix, annonçai-je, prenant une subite résolution.

— Je reviendrai demain matin, de bonne heure me dit le médecin, au moment de partir. Mais ce sera inutile, je crois, ajouta-t-il d’une voix basse ; M. Tourville n’en a pas pour plus qu’une heure ou deux à vivre maintenant.

La prédiction du Docteur Foret se réalisa : à minuit précis, au moment où les domestiques des Pelouses-d’Émeraude revenaient de la danse à laquelle ils avaient assisté, M. Robert Tourville exhalait son dernier soupir.

Béatrix avait perdu, en l’espace de quelques heures, son mari et son père !

XLII

LES JOURS QUI SUIVIRENT


Dès le lendemain, Mlle Brasier et moi (Béatrix aussi probablement) nous commençâmes à observer les journaux, nous attendant à y lire un rapport de la découverte du corps d’Aurèle Martigny…

Nous eûmes l’occasion de lire force décès de M. Tourville et des préparatifs qui étaient à se faire pour ses funérailles (qui seraient vraiment « royales », disaient les journaux) : mais qui seraient retardées de quelques jours, à cause de l’absence de M. Aurèle Martigny, gendre du défunt, celui-ci n’ayant pas encore répondu aux dépêches qui lui avaient été envoyées lui annonçant le décès de son beau-père.

Le lendemain, et le surlendemain encore, les journaux annonçaient qu’aucune nouvelle n’était parvenue concernant M. Martigny : tout ce qu’on pouvait affirmer c’était qu’il n’avait pas reparu chez lui depuis qu’il en était parti, en compagnie de sa femme, il y avait un peu plus qu’une semaine. Mme Martigny, interrogée, n’avait pu donner aucune explication du silence de son mari, silence que l’on commençait à considérer comme étant, pour le moins, étrange ; la seule chose qui lui paraissait probable, c’était que son mari eut pu être appelé au loin pour le règlement de quelqu’affaire importante, comme cela lui arrivait parfois. Tout de même, cette absence de nouvelles paraissait inquiéter beaucoup Mme Martigny, déjà si éprouvée par la mort si récente de son père. De plus, comment se faisait-il que M. Martigny n’eut pas vu dans les journaux, notices du décès de M. Tourville ? C’était assurément très incompréhensible.

Le quatrième jour, nous apprîmes que les funérailles de M. Robert Tourville avaient eu lieu, au milieu d’un grand concours d’amis. Ç’avait été les plus imposantes funérailles qui se fussent jamais vues, à J…

Aucune nouvelle n’avait été reçue encore de M. Aurèle Martigny, annonçait le même journal, et les témoignages de sympathies pleuvaient littéralement aux Pelouses-d’Émeraude, pour la jeune épouse si inquiète, et si désolée dans sa récente épreuve.

Une semaine se passa…

Un soir, en dépliant « Le Babil », j’aperçus en lettres longues de près de deux pouces, l’entête suivant :

« Mystérieuse disparition de M. Aurèle Martigny ».

Puis, en caractères un peu plus petits :

« Tout porte à croire qu’il lui est arrivé malheur ».

Ce à quoi nous nous attendions depuis plusieurs jours était enfin arrivé, et nous devions être préparées, pour ce qui allait suivre. Mlle Brasier et moi nous étions devenues si nerveuses ! Nous appréhendions sans cesse quelque catastrophe. Toutes deux, nous étions changées à faire peur, car nous dormions à peine, et toute nourriture nous donnait des nausées.

Comment Béatrix supportait-elle tout cela ? Nous étions terriblement inquiètes à son sujet ; mais nous n’osions pas trop nous montrer aux environs des Pelouses-d’Émeraude. Nous ne lui avions fait qu’une courte visite, à Béatrix, la veille des funé-