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BOIS-SINISTRE

de temps à autre s’il l’eut voulu… j’aurais aussi enduré la présence continuelle d’Arabella Tourville, plutôt que d’épouser cet homme brutal qu’est mon mari !

— Quel récit douloureux que celui que vous venez de nous faire, Béatrix ! m’écriai-je. Et combien je vous plains, ma pauvre petite !

— Sauvez-moi ! Sauvez-moi, chère Mme Duverney ! pleura-t-elle, en se cramponnant à moi. Vous et Mlle Brasier, vous êtes mes seules amies ici-bas. Vous deux exceptées, qui se soucie de ce que devient Béatrix Martigny, je vous le demande !

— Moi !… Moi, je m’en soucie plus que de tout au monde ! fit une voix alors, et Rocques Valgai, que Béatrix n’avait pas aperçu encore et que, je l’avoue, j’avais complètement oublié, s’avança auprès du canapé sur lequel la jeune femme était assise.

— Rocques ! cria Béatrix. Rocques ! Vous ici !

— Béatrix !… Oui, je suis ici, depuis… depuis bien des jours… de fait, depuis le lendemain de votre mariage.

— Pardon Rocques, pardon ! implora-t-elle.

— Vous me demandez de vous pardonner, moi ! Ô Béatrix ! Ma bien-aimée !

— Ne me parlez pas ainsi, lui dit-elle. Je suis mariée maintenant, et n’ai plus le droit de vous écouter.

— Vous êtes mariée, oui… à un homme brutal et méchant…

— Tout de même, les vœux que nous avons échangés au pied de l’autel m’interdisent le droit de prêter l’oreille à vos expressions de tendresse… Mais, je l’espère, vous êtes un bon ami pour moi… et vous le serez toujours ?

— Votre ami ?… Oui, je le suis, et je le serai toujours ; de cela vous ne pouvez douter, chère Béatrix, n’est-ce pas ?

Il s’était agenouillé auprès du canapé et il couvrait de baisers les mains de la jeune femme.

« Bagne ! Bagne » !

La porte de la bibliothèque donnant sur le petit bois de sapins venait d’être ouverte sous une poussée vigoureuse.

Nous levâmes les yeux… Béatrix, Mlle Brasier et moi, et nous ne pûmes réprimer un cri, car, debout sur le seuil, nous venions d’apercevoir la taille corpulente de… Aurèle Martigny !

XXXVI

LE MARI BRUTAL


— Ainsi !

Il ne proféra que ce seul mot, tout d’abord ; mais c’était assez pour nous faire frémir toutes trois, Béatrix, Mlle Brasier et moi. Cette pauvre Béatrix tremblait de peur ; elle avait caché son visage dans ses mains et elle gémissait.

— Ainsi ! répéta Aurèle Martigny, en s’adressant à sa femme. Tu t’es échappée des Pelouses-d’Émeraude, pour venir te jeter dans les bras de ton ex-amoureux, hein, Béatrix ?… Je suis grandement étonné, Madame, ajouta-t-il, en se tournant de mon côté, que vous tolériez de pareilles choses sous votre toit. Un rendez-vous, entre…

— Taisez-vous ! Taisez-vous ! cria Rocques, en s’approchant d’Aurèle Martigny. Comment osez-vous, misérable, insulter votre femme, ainsi que cette dame ? ajouta-t-il, en me désignant.

— Que venez-vous de me dire, M. Valgai ? Vous ai-je entendu prendre le parti de ma femme contre moi, son mari ? demanda Aurèle Martigny d’un ton sarcastique.

— Cessez ! répéta Rocques, ou je vais vous donner le meilleur soufflet !… quoique, Dieu sait s’il m’en couterait de me salir la main sur votre visage si répulsif !

— Prenez garde, jeune homme ! hurla littéralement le mari jaloux. Si je ne me retenais pas, je vous… pulvériserais, d’un coup de poing, freluquet que vous êtes ! Écoute, Béatrix ajouta-t-il, je suis venu te chercher ; donc tu ferais bien de me suivre, à l’instant… J’ai dit qu’il te fallait me suivre ! As-tu compris ?

— Je refuse de te suivre, mon cher, répondit la jeune femme.

— Tu… Tu refuses, dis-tu ?

— Ô Madame Duverney ! implora-t-elle, en se tournant de mon côté. Pour l’amour du ciel, protégez-moi !

— Tu refuses de m’obéir, hein, Béatrix ? fit Aurèle Martigny, pâle de colère. Eh ! bien, nous allons voir… ce que nous allons voir !

Il saisit brutalement sa femme par le bras et la força de se lever du canapé sur lequel elle s’était affaissée.

— Madame ! Madame ! s’écria-t-elle, en s’adressant à moi. Sauvez moi ! Aidez-