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BOIS-SINISTRE

ner, ce me semble, fit Mlle Brasier. Vous devez être malade… ou mal disposée… ou quelque chose de ce genre !

J’ouvrais la bouche pour répondre, quand nous entendîmes un terrible bruit arrivant du studio.

— Qu’est-ce que cela ?

Mlle Brasier était devenue très pâle ; je suppose bien que mon visage, à moi, devait être couleur de cire aussi.

— Qu’est-ce que ça peut bien être ? m’écriai-je.

— Pas grand chose. Rien qui doive vous effrayer, bien sûr, répondit Rocques. Quelque chose sera tombé, dans le studio ; un cadre, un meuble… Je vais aller m’en assurer.

— Je vous accompagne, dis-je.

Nous nous dirigeâmes vers le studio ; inutile d’ajouter que Mlle Brasier nous accompagnait. Je me disais, en riant, qu’elle ne serait pas restée seule dans la bibliothèque, pour tout au monde.

— Ce n’est qu’un cadre qui est tombé, fit Rocques, en pénétrant dans la pièce. Vous le voyez, il n’y a rien qui puisse effrayer un chat ! ajouta-t-il en souriant.

Un cadre ?… Oui ; un grand cadre, contenant une peinture à l’huile, un portrait.

Le portrait était tombé face contre terre, s’accrochant dans une table, en passant. Le cadre s’était donc cassé net, à la hauteur du buste du portrait, la toile se trouvant ainsi repliée sur elle-même, il n’émergeait de ce chaos que la tête de la personne photographiée,

— C’est le portrait de mon ancêtre ! m’exclamai-je. Et, voyez comme elle a l’air terrible ! Que ses yeux sont méchants ! Que ses lèvres sont moqueuses ! Jamais elle n’a été si effrayante à voir !

— C’est vraiment horrible ! C’est sinistre ! Ces yeux durs et méchants semblent n’annoncer rien de bon ! s’écria Mlle Brasier. Et remarquez bien ce que je vous dis, Mme Duverney, continua-t-elle, la chute de ce portrait présage quelque malheur… C’est un avertissement…

— Assurément, vous ne croyez pas aux présages, aux avertissements, ou choses de ce genre, Mlle Brasier ! dit Rocques en riant. Allons donc !

— Que j’y croie ou que je n’y croie pas, il va arriver quelque chose, ici, à Bois-Sinistre, bientôt… peut-être ce soir même…

Et ce qu’il y avait de vraiment ridicule dans tout cela, c’était que j’étais de la même opinion que Mlle Brasier ; quoique je n’ajoutasse pas foi généralement aux avertissements, je ne pouvais me défendre du pressentiment d’une catastrophe toute prochaine.

XXXV

BÉATRIX MARTIGNY


Nous étions retournés à la bibliothèque.

J’étais résolue à une chose : je renverrais dans le grenier le portrait de mon ancêtre et il resterait là. D’ailleurs, je l’ai dit déjà… je l’avais toujours détestée cette peinture.

Zeus était allée à la gare, cet après-midi-là, porter le bagages de Rocques Valgai. Notre jeune ami n’avait gardé qu’une légère valise à main et aussi une boîte contenant des tubes de peintures et des pinceaux. Mlle Brasier et moi, nous étions à empaqueter la valise et la boîte convenablement.

— Bon ! Voilà qui est fini ! fit Rocques, lorsque nous eûmes attaché une forte ficelle autour de la boîte de peintures.

— Pas encore ! Ce n’est pas encore fini, répondis-je en riant. Je vais d’abord couper ce bout de ficelle qui pend et qui est de trop. Voulez-vous me passer les ciseaux, Mlle Brasier, s’il vous plaît ?

— Les ciseaux ?… Où sont-ils ?

— Ils doivent être sur la table, tout près de vous, dis-je.

— Ils n’y sont pas… Oh ! Je me souvins maintenant ; je les ai laissés dans la salle d’entrée… Je… je vais aller les chercher.

Je ne pus m’empêcher de m’éclater de rire ; je savais que Mlle Brasier aimerait autant mourir que de se risquer dans la salle d’entrée (c’est-à-dire le studio) où reposait encore le portrait de mon ancêtre, face contre terre.

— Ne vous dérangez pas, Mlle Brasier. J’ai mon couteau ici ; il fera l’affaire.

— Oh ! Quel couteau… assassin ! m’écriai-je en riant, lorsque notre jeune ami eut produit l’instrument en question.

— C’est un couteau très serviable, je vous l’assure, chère Madame, répondit Roc-