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BOIS-SINISTRE

cès de tante Marguerite. Arthur fut plus tendre, plus prévenant que jamais pour moi. Parfois, alors que nous travaillions ensemble dans son atelier, il laissait là son ouvrage et s’approchant de moi, il murmurait, en me pressant sur son cœur :

— Pauvre petite Marita ! As-tu cru, même pour un moment, que je te laisserais partir ?

— J’espérais bien que vous vous y opposeriez, répondais-je, aussi heureuse qu’il est permis de l’être ici-bas.

Nos veillées se passaient très-agréablement, surtout lorsqu’Arthur veillait avec nous. Nous n’avions pas fermé le piano ; mon cousin et moi nous chantions des duos ensemble, ce qui suscitait les applaudissements de Mme Duverney, formant, à elle seule, notre auditoire. D’autres de nos veillées se passaient à jouer aux cartes avec Mme Duverney jusque vers les neuf heures, heure à laquelle elle se couchait d’habitude.

Lorsqu’Arthur s’absentait, ce n’était pas aussi gai, car je tenais compagnie à Mme Duverney, tout en travaillant à quelqu’ouvrage de fantaisie, puis, à neuf heures sonnant, chacune de nous se retirait dans sa chambre à coucher, pour la nuit.

Quatre ou cinq fois, durant les deux mois et demi que Mme Duverney passa avec nous, après le décès de ma tante, mon cousin s’absenta pour quelques jours ; alors, le temps me paraissait s’écouler bien lentement… Mais, ô ciel ! quelle joie pour moi lorsqu’il nous revenait.

Lorsqu’il revint de sa troisième promenade… je ne sais où… il nous apporta un cadeau, à chacune : à Mme Duverney il donna un magnifique porte-monnaie ; à moi, il donna une riche bague surmontée de diamants, brillants comme des soleils.

C’est Arthur lui-même qui passa la splendide bague à mon doigt, et quoiqu’il ne dit rien à cet effet, je compris parfaitement : le cadeau qu’il me faisait, c’était ma bague de fiançailles… Dans mon cœur, ce soir-là, je fis le serment de lui être fidèle jusqu’à la mort.

III

« QUAND JE REVIENDRAI… »


— Mes enfants, dit Mme Duverney un soir, je me propose de retourner chez moi dans huit jours.

— Si tôt !

— Mais ! Voilà au-delà de trois mois que je suis avec vous ; deux mois et demi depuis la mort de ta mère, Arthur.

— Chère Mme Duverney, n’êtes-vous pas heureuse ici ? Pourquoi nous quitter ? demanda Arthur.

— Je suis, certes, très heureuse ici, mon garçon, répondit-elle ; mais, vois-tu, j’ai un petit chez moi, à J…, et je crois que je commence à m’en ennuyer un peu, car j’éprouve le besoin d’y retourner… Je te conseille donc de hâter les préparatifs pour ton mariage, Arthur ; je resterai pour cela, ajouta-t-elle en souriant.

— Très bien, acquiesça Arthur, souriant, lui aussi. Qu’en dit Marita ? demanda-t-il, en me pressant la main.

Je ne répondis rien, étant trop émue. Mme Duverney répondit pour moi :

— Oh ! Marita est toujours de ton opinion, Arthur ; c’est entendu ! Elle dit « Oui », je sais… Je ne peux pas la laisser seule ici avec toi ; donc le mariage devra se faire en dedans de huit jours ; sans quoi, j’emmènerai ta cousine avec moi, lorsque je partirai, fit Mme Duverney, en riant d’un grand cœur.

— Ce n’est guère probable que vous m’enleviez Marita ! répondit mon cousin, riant, lui aussi. Je partirai pour la ville demain matin, ajouta-t-il. Mme Duverney, vous voudrez bien vous occuper des préparatifs… pour le grand événement, n’est-ce pas ? Vous vous chargerez bien de voir à ce que tout soit prêt a temps ?

— Certainement.

— Voyez à ce que Marita soit mise convenablement, pour l’occasion, et faites préparer le repas de noces. Si vous avez besoin d’une femme pour aider à Espérance, dans la cuisine, engagez-en une… deux, s’il le faut. Bref, je laisse tout entre vos mains, sachant bien que je ne pourrais mieux faire ; n’est-ce pas ton opinion, à toi aussi, Marita chérie ?

— Ni Mme Duverney, ni moi, nous ne ferons la paresse, durant votre absence, Arthur, répondis-je, en souriant ; nous allons avoir beaucoup d’occupations, et vous trouverez tout à votre goût, à votre retour, j’en suis sûre.

— Ainsi, tu vas partir demain matin ? demanda Mme Duverney à mon cousin.

— Oui, répondit-il. Je serai absent pour