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BOIS-SINISTRE

vos prescriptions à la lettre, Docteur Foret, dit Mlle Brasier.

— Et vous tomberez malade, toutes deux, à votre tour ensuite, hein ?

— Si vous pouviez nous recommander une bonne garde-malade, suggérai-je.

— Je peux vous en recommander une, assurément. C’est une veuve… une madame Simon. Elle n’a pas ses brevets de garde-malade, il est vrai : cependant, elle a pris si bien soin de son mari, qui a été malade deux années durantes, qu’elle a « gagné ses épaulettes » si je puis m’exprimer ainsi, répondit le Docteur Foret.

— J’aimerais à l’engager cette Mme Simon, si elle peut venir…

— Oh ! Elle viendra, bien sûr. Elle a besoin de gagner un peu d’argent : de fait, elle va être folle de joie à la pensée de venir passer quelque temps à Bois-Sinistre, je sais. Je verrai Mme Simon, en partant d’ici tout à l’heure ; même, je crois que je vous la ramènerai en voiture.

— Merci, Docteur !… Et, Docteur… peut-être serait-ce préférable de ne pas mentionner la présence de Rocques Valgai ici… Sous les circonstances… à cause du mariage de Béatrix…

— Je comprends parfaitement ce que vous voulez dire, Mme Duverney, répondit-il : je ne mentionnerai pas à âme qui vive la présence de M. Valgai ici. Il en parlera lui-même… lorsqu’il sera capable de le faire.

— Je vous remercie, Docteur.

— Allons, je vous quitte. Faites transporter le malade dans sa chambre le plus tôt possible ; qu’on le mette au lit. Je ramènerai Mme Simon tout à l’heure. Au revoir, Mesdames.

Mme Simon était, en effet, la perle des infirmières. Le Docteur Foret n’abandonna pas son malade ; deux fois par jour, il venait le voir. Ce pauvre Rocques ne paraissait pas prendre beaucoup de mieux ; seulement, il ne rempirait pas et c’était là notre seule consolation.

Pendant trois longues semaines, notre jeune ami demeura inconscient. Il avait beaucoup de fièvre et de continuels accès de délires ; il parlait… il parlait… nuit et jour, et le nom de Béatrix était sans cesse sur ses lèvres. C’était infiniment triste de le voir et de l’entendre.

J’étais assise près de son lit lorsqu’il reprit connaissance.

Mme Duverney ! murmura-t-il. Où… où suis-je ?… Qu’y a-t-il ?… Ai-je été malade ?… Je ne comprends pas…

— Ne vous troublez pas la tête, mon pauvre jeune ami, je vous prie ! répondis-je. Tout va bien aller maintenant et…

— Mais… Où suis-je ? demanda-t-il de nouveau. Pas… pas…

— Vous êtes à Bois-Sinistre, cher Rocques, dis-je ; que cela vous suffise pour le moment, n’est-ce pas ? D’ailleurs, le médecin a défendu de vous laisser parler, et je lui ai promis de lui obéir à la lettre… Tenez ! Voici Mme Simon, votre garde-malade… Elle est très sévère, ajoutai-je, en souriant : elle vous fera obéir, croyez-le !

— Ainsi, vous êtes mieux ? demanda Mme Simon, en s’approchant de son malade. Nous sommes tous contents, bien contents ! Mais vous ne devez pas parler ; pas maintenant, dans tous les cas… Ce sont les ordres du médecin !

Cinq semaines s’écoulèrent, avant que Rocques eut été capable de quitter sa chambre et venir se joindre à nous, soit dans la bibliothèque, soit dans l’étude, soit dans le studio, soit sur les vérandas. Comme il était pâle et changé, le pauvre garçon !

Jamais il ne mentionnait plus le nom de Béatrix ; mais nous savions bien qu’il était excessivement malheureux.

Deux autres semaines passèrent. Rocques, parfaitement rétabli, parlait de retourner dans le sud des États-Unis, où il avait laissé d’importants travaux inachevés. Il serait absent le temps nécessaire pour terminer son ouvrage, puis il reviendrait à J…, pour tout de bon.

— J’espère que vous n’aurez pas de mauvais temps pour voyager, pas de pluie surtout, lui dit Mlle Brasier, le soir de son départ. Il vente et il est probable que ce vent va nous apporter de la pluie… avant minuit même ; l’heure à laquelle vous partez… Voyager quand il pleut ! Peut-on imaginer rien de plus déprimant ?

— Ce n’est pas un temps très agréable, il faut l’avouer ! m’écriai-je, et puis, je hais vous voir partir par le train de nuit, Rocques ! On se croirait en novembre, plutôt qu’en juillet ; le vent est si froid ! et, malgré moi, je frissonnai.

— Le vent est froid, en effet, Mme Duverney ; mais pas assez pour faire frisson-