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BOIS-SINISTRE

eut dit que la maison allait s’écrouler, car elle semblait bercer littéralement sous la force du vent.

Du dehors, nous parvenaient des bruits étranges ; c’étaient assez pour nous affoler de terreur ! C’était sinistre ces bruits qui nous arrivaient ; évidemment, la tempête faisait des siennes dans le petit bois ; on l’entendait (le vent) sifflant, grondant, soupirant, pleurant, gémissant, hurlant…

À un moment donné, nous perçûmes un son qui faisait penser à un éclat de rire… puis ce fut une plainte… puis encore, un cri strident, sur une note très élevée ; on eut dit le cri désolé d’une femme ou d’un enfant…

Que c’était étrange et horrible ! Un autre son ; celui d’un soupir prolongé… puis de sanglots étouffés…

Soudain, nous pâlîmes, car il venait de nous arriver clairement le bruit d’une déformation : « Boum » ! la détonation d’un coup de pistolet. « Boum ! Boum » !

— Madame ! Madame ! C’est… c’est intolérable ! cria Prospérine, soudain. Ces éclats de rire… ces cris… ces plaintes… ces sanglots… ces soupirs… puis la… détonation d’un pistolet !… Bois Sinistre est hanté, hanté !

— Prospérine, dis-je, cessez, n’est-ce pas !

— Mais, Madame, je vous dis que Bois Sinistre est hanté ! persista la servante, qui paraissait à moitié folle de peur.

— Ne vous ai-je pas défendu, déjà, de tenir de pareils discours, Prospérine ?… Je le répète, cessez !

— Mais, Madame, ne comprenez-vous pas ?… Ces cris, ces pleurs, ces soupirs… puis la détonation d’un pistolet…

— Il n’y a pas à se le cacher, c’est ce qu’il y a de plus épouvantable, dit, alors, Mlle Brasier, dont le visage était blanc comme de la chaux.

(Dois-je dire que, moi non plus, je ne me sentais pas… rassurée) ?

— C’est… C’est la tragédie d’il y a cinq ans qui se joue, pour notre délectation, ce soir ! s’écria Prospérine. Et la pauvre femme se mit à pleurer tout haut.

— Écoutez, ma bonne, fis-je, vous devriez avoir plus de bon sens que cela vraiment !… Vous savez bien qu’il n’y a pas de maisons hantées, d’endroits hantés non plus ; tout cela, sornettes !

Bois Sinistre est hanté… commença-t-elle.

— Qu’est-ce qui vous effraie tant, en fin de compte ? demandai-je, feignant une bravoure que je ne ressentais certes pas.

— Ces éclats de rire… ces pleurs… ce sont ceux de petite « fée Olivette » je le sais, reprit Prospérine. Puis ces cris, ces horribles cris qu’on dirait poussés par une voix de femme, en face de quelque horrible danger : ce sont ceux de Nina… Mme Grandin, au moment où elle tombait dans le lac… La détonation du pistolet… le suicide de M. Grandin…

— Tout cela ce n’est que le vent passant à travers les sapins, vous le pensez bien ! répondis-je. N’avez-vous jamais été témoin d’une tempête, de votre vie, Prospérine, que vous faites tout un drame de celle de ce soir ? C’est ridicule, à la fin !

— Mais… la détonation…

— La détonation (ou les détonations, car nous venons d’en entendre une autre) c’est seulement le bruit des vagues du Lac Judas projetées avec grande force contre la base des rochers… Je sais bien que c’est assez lugubre, Prospérine, et je n’aime pas cela moi-même ces bruits étranges ; mais ne soyons pas superstitieux et essayons de n’être pas effrayés de… rien… Cet ouragan ne saurait durer longtemps… Patientons, et faisons en sorte d’agir comme des… chrétiens, car nous savons bien que Celui qui commande à la tempête veille sur nous, et qu’Il nous protégera.

Tout le reste de la nuit nous restâmes ensemble, Mlle Brasier, Prospérine, Zeus et moi, à écouter souffler le vent. Oh ! comme il sifflait, grondait, gémissait, criait, soupirait et pleurait, à travers les sapins du petit bois ! tandis que les vagues en furie du Lac Judas lançaient des détonations, à faire dresser les cheveux sur nos têtes.

Je crus comprendre, cette nuit-là, pourquoi les Quinton, qui avaient acheté Bois Sinistre, avaient abandonné la place au bout d’un mois ; sans doute ils avaient été témoins de quelqu’ouragan dans le genre de celui dont nous étions favorisés en ce moment, et étant quelque peu superstitieux, ils avaient été fermement convaincus que Bois Sinistre était hanté par ceux qui y avaient trouvé une si horrible mort, jadis.

Mais, comme je l’avais dit à M. Beaurivage lors de l’achat de Bois Sinistre, je n’étais nullement superstitieuse… Je savais que les morts ne reviennent pas sur cette terre… même dans le but d’effrayer