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BOIS-SINISTRE

résultat de cette exhibition. Il faut s’aider les uns les autres, en ce monde ; autrement, notre vie serait vide et parfaitement inutile… du moins, c’est là ma manière de penser.

Un après-midi, durant la troisième semaine de juillet, M. Rocques vint au studio. Je fus grandement surprise de le voir arriver ainsi durant les heures qu’il consacrait généralement au travail.

La raison de sa visite, c’était qu’il venait de vendre une de ses peintures, et l’acquéreur lui avait demandé, comme faveur, de la faire encadrer avant de la lui livrer.

Nous étions dans le studio, le jeune artiste et moi, à faire un choix parmi différentes moulures, pour l’encadrement de sa peinture, lorsque nous entendîmes le bruit d’une voiture dans L’Avenue des Cèdres. Bravo se mit à aboyer joyeusement, puis quelqu’un frappa à la porte.

— Je crois que je vais… disparaître, murmura Rocques en riant, puis il quitta immédiatement le studio.

Celle qui avait sonné à la porte d’entrée, c’était Béatrix Tourville.

— Oh ! Comment vous portez-vous, Madame ? me demanda-t-elle me tendant la main en souriant. Béatrix était irrésistible lorsqu’elle souriait, car ses yeux souriaient aussi bien que ses lèvres.

Je me porte bien, je vous remercie, Mlle Tourville, répondis-je. Vous êtes la bienvenue, ajoutai-je.

— Merci, chère Madame !

M. Tourville est en excellente santé, je l’espère ?

— Oh ! oui. Père n’est jamais malade, vous savez !

— Tant mieux !

— Depuis le jour de l’inauguration de votre studio que je désire venir vous voir, dit-elle, mais j’ai été absente ; un petit voyage que j’ai fait avec père… Tenez, reprit-elle, voici les gravures que j’aimerais à faire encadrer. Elle me remit une petite peinture à l’huile et un portrait.

— Ah ! Un portrait de vous-même ! fis-je.

— Oui. Qu’en pensez-vous, Madame ?

— Il est parfait, parfait ! m’écriai-je.

— Trouvez-vous, vraiment !… Eh ! bien, je désire le faire encadrer, afin de l’offrir en cadeau de fête à père, mardi prochain.

— Vous n’auriez pas pu trouver cadeau de fête plus… acceptable, Mlle Tourville, répondis-je ; c’est une cadeau qui ne manquera pas de plaire à M. Tourville, bien sûr !

— Et voici… autre chose, dit Béatrix en hésitant et rougissant un peu.

— Une petite peinture à l’huile, à ce que je vois…

— Ô Madame, ne vous moquez pas de moi… de mon pauvre petit talent, je veux dire… Je ne suis pas artiste ; mais…

— Mais, ma chère enfant ! Je n’ai nulle envie de me moquer de vous ! assurai-je.

— C’est pris d’après nature… Seulement… il y a bien des choses à redire, je le sais.

Il y avait, assurément, bien des choses à redire au petit paysage que Béatrix venait de me remettre ; j’en vis les imperfections, d’un seul coup d’œil.

— Ne me direz-vous pas… ne me signalerez-vous pas les… défauts de cette peinture, Madame ? me demanda-t-elle.

— Bien… cette vigne, par exemple, qui se cramponne à ce chêne, dis-je. Quelques coups de pinceau suffiraient cependant pour la rendre plus naturelle, et si vous voulez me le permettre…

— Prendriez-vous la peine vraiment de corriger ce petit paysage, avant de l’encadrer ?

— Certainement, si vous le désirez.

— Que vous êtes bonne, et comme je vous serai reconnaissante, chère Madame ! s’écria Béatrix. Oh ! ajouta-t-elle aussitôt. Quel magnifique paysage ! Est-ce vous qui l’avez peint ?

Elle venait d’apercevoir, sur une table, où Rocques l’avait laissée, la peinture à l’huile du jeune artiste.

— Non. Ce n’est pas moi qui l’ai peint, répondis-je. Voyez plutôt.

— « Rocques Valgai », lut Béatrix au bas du paysage. Connaissez-vous M. Valgai personnellement, Madame ?

— Oui, je le connais personnellement.

— Pensez-vous… pensez-vous qu’il me donnerait des leçons ?

— Probablement… Je le lui demanderai bien.

— Oh ! oui ! S’il vous plaît !

— Je n’y manquerai pas.

— Quand le verrez-vous M. Valgai ? demanda-t-elle.

— Bientôt… De fait, M. Valgai est ici,