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BOIS-SINISTRE

— Merci, Madame ! Vous êtes excessivement bonne de vouloir bien me laisser entrer !… Je regrette de n’avoir pas de cartes de visite sur moi ; je vais donc être obligé de me présenter moi-même… Je me nomme Rocques Valgai, Madame. Ma profession c’est… c’est… celle de… de… barbouiller de la toile dit-il en riant, et je suis généralement connu sous le nom de « Valgai, l’artiste ».

XXV

NOTRE JEUNE AMI


Ainsi que nous l’avions prévu, l’ouvrage commença pour nous dès le lendemain de l’inauguration du studio. Il y eut une véritable avalanche de commandes ; spécialement de portraits à encadrer. On eut dit que tous attendaient depuis longtemps, la chance et l’occasion de faire encadrer les portraits d’êtres chers, car, quoique on nous apporta des peintures à l’eau et à l’huile, les photographies étaient plus nombreuses ; nous en avions de toutes sortes.

Si on eut pu jeter un coup d’œil dans notre atelier, deux ou trois semaines après l’ouverture du studio on eut pu nous voir à l’œuvre Mlle Brasier et moi. On eut pu voir aussi, assis auprès de notre table de travail, un jeune homme de vingt-deux à vingt-trois ans, fumant une cigarette, parlant « comme un moulin… à parler », ne s’arrêtant que pour rire d’un grand cœur et cela fort souvent. Ce jeune homme, c’était Rocques Valgai, l’artiste.

M. Rocques était devenu notre jeune ami, à Mlle Brasier et à moi, et nous étions toujours heureuses de le voir. Nous le recevions, sans cérémonie, dans l’atelier, et cela nous égayait de l’entendre rire et parler tandis que nous travaillions.

Je l’ai dit déjà, j’avais aimé le jeune artiste en l’apercevant pour la première fois. Lorsqu’il était entré dans le studio, le jour de l’inauguration et qu’il eut l’air si émerveillé de ce qu’il y voyait, je lui avais dit très spontanément :

M. Valgai, je tiens beaucoup à avoir votre critique… ou votre appréciation sur ces peintures… sur quelques unes du moins.

— Madame, avait-il répondu en s’inclinant, vous êtes une artiste, je le comprends, et je n’oserais…

— Oui ! Oui ! J’y tiens !

— Mais… Il se fait tard déjà et…

— Je sais… Aussi voudrais-je vous proposer de rester à souper avec nous… nous causerons peinture, après le souper. Qu’en dites-vous ?

— Je… Je ne suis pas habillé pour une telle occasion, Madame, me répondit-il, et vraiment…

— Que cela ne vous embarrasse nullement ; nous n’en passerons certainement pas la remarque.

Rocques Valgai était resté à souper et à veiller avec nous.

Mme Foret qui, parfois, aimait à taquiner, me dit ensuite :

— Ma chère, n’était-ce pas un grand risque que vous preniez en gardant ce jeune artiste à souper ? Vous ne le connaissiez nullement et…

— Et il aurait pu me voler de mes peintures, vous croyez ? demandai-je en riant, ou bien ma coutellerie…

— Oh ! non ! ce n’est pas ainsi que je l’entends, protesta Mme Foret. Mais… à table… s’il s’était mis à manger avec ses doigts… ou à mettre son couteau dans sa bouche, ou à boire son thé dans sa soucoupe, qu’auriez-vous dit ou fait ? Dans quel embarras vous vous seriez trouvée !

Mais Rocques Valgai n’avait pas mangé avec ses doigts, ni mis son couteau dans sa bouche, ni bu son thé dans sa soucoupe ; au contraire, ses manières étaient (et ont toujours été) celles d’un parfait gentilhomme.

Le jeune artiste nous rendait aussi de grands services, en ce qui concernait l’encadrement d’images ou de portraits, car il nous donnait généreusement le bénéfice de son goût, qui était indéniable.

Pauvre M. Rocques !… Il était pauvre vraiment, comme le sont les artistes généralement. Dernièrement, de fait, depuis le 15 juin, jour de l’inauguration du studio, il avait perdu deux élèves, qui avaient quitté J…, pour passer l’été à la campagne, sur le bord de la mer.

Il arrivait parfois au jeune artiste de vendre une de ses peintures et le produit de cette vente devait lui suffire pour vivre pendant des mois et des mois ensuite. Mais j’avais offert de lui aider un peu, en ayant, dans mon studio, une exhibition de ses peintures, en décembre. Nous en ferions un jour de gala, et nous ne doutions pas du