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BOIS-SINISTRE

mes derniers essais, que j’avais installé sur un chevalet.

— Oui, lui répondis-je. C’est une esquisse de Roc-Nu, un endroit très sauvage, du côté est de ce promontoire.

— C’est splendide ! Et, certes, comme vous le dites, c’est très sauvage. Ce promontoire, continua-t-elle, c’est un lieu… étrange, n’est-ce pas ? Bois Sinistre, c’est…

— N’aimez-vous pas Bois Sinistre, Mlle Tourville ? demandai-je en souriant.

— Assurément oui, j’aime Bois Sinistre ! Il me semble que ça doit être idéal de vivre ici ; c’est si… si poétique, selon moi… J’aimerais à y demeurer… quoique les Pelouses-d’Émeraude

— Oh ! Chères Pelouses-d’Émeraude ! murmurai-je.

— Que je voudrais pouvoir peindre comme vous, Madame ! dit Béatrix. Je désire beaucoup prendre des leçons de dessin et de peinture ; connaissez-vous quelqu’un qui m’en donnerait ?

— Je regrette de vous dire que non… Mais si je puis vous aider de mes conseils, en aucun temps, Mlle Tourville, je le ferai avec un bien grand plaisir.

— Merci, Madame, merci ! fit-elle. Que c’est aimable à vous d’offrir de m’aider ainsi !… Mais je préférerais de vraies leçons. prises régulièrement.

— Si j’entendais parler de quelqu’un, je vous le ferais savoir, Mlle Tourville, répondis-je.

— Eh ! bien, partons, Béatrix ! s’exclama, à ce moment, M. Tourville. Tu sais que nous avons pris un engagement pour six heures et demie ; nous arriverons en retard.

— Je suis prête, père, dit Béatrix.

— Ne prendrez-vous pas une tasse de thé avant de partir, Monsieur et Mademoiselle ! demandai-je.

— Merci, Madame ; mais c’est impossible ; cela nous retarderait trop. Encore merci… Viens Béatrix !

— Je vous suis, père. Au revoir, chère Madame, dit la jeune fille en me tendant la main. J’aimerais à revenir vous voir… si vous n’y avez pas d’objections, s’entend.

— Vous serez toujours et en tout temps mille fois la bienvenue, Mlle Tourville, lui répondis-je.

— Dans tous les cas, j’ai deux ou trois gravures que je désire faire encadrer. Quand pourrai-je venir vous les apporter ?

— Quand et aussitôt qu’il vous plaira, dis-je en souriant.

— Au revoir ! À bientôt alors ! répéta-t-elle.

Je venais de reconduire les Tourville à la porte, lorsque six heures sonnèrent à l’horloge du studio ; en même temps, retentit le gong de la salle à manger, annonçant le souper.

— Je me sens le besoin de prendre une tasse de thé, dis-je à mes amies.

— Moi aussi ! firent mes trois compagnes.

— Alors courons vers la salle à manger !

Riant et badinant, nous sortîmes du studio, en file indienne.

— Ding - ling - ling - !

C’était la cloche de la porte d’entrée qui sonnait.

Nous nous retardâmes, toutes trois en souriant ; mais, vraiment, je crois que nous avions plutôt envie de pleurer… nous étions si, si lasses !

— Il est six heures sonnées ; donc, ça ne peut être quelqu’un qui soit venu pour l’ouverture du studio, sûrement ! s’exclama Mlle Brasier. C’est peut-être un commissionnaire… ou quelqu’un de ce genre.

— D’ailleurs, nous n’avons pas entendu de roulement de voiture sur L’Avenue des Cèdres, ajouta Mme Foret.

— Ding - ling - ling - !

— Il faut toujours que j’aille ouvrir, car, quiconque est là est résolu d’entrer ! m’écriai-je en riant.

J’allai ouvrir… et je me trouvai en face d’un joli grand jeune homme, de vingt-deux ou vingt-trois ans. Il était brun ; ses cheveux, sa fine moustache et ses yeux étaient bruns ; ces derniers étaient francs, clairs et riants.

— Pardonnez-moi, Madame ! fit-il. Il passe six heures, je le sais… J’arrive en retard pour l’inauguration, je le crains.

— Bien… vous êtes en retard, c’est sûr… Comme vous venez de le dire, il passe six heures, répondis-je en souriant. Cependant…

— J’avais des leçons à donner, voyez-vous, Madame, reprit-il, et c’est ce qui m’a retardé. Encore une fois, veuillez me pardonner. Et il se disposa à s’en retourner… d’où il venait.

— Entrez ! Entrez ! dis-je en souriant, car j’avais aimé tout de suite ce jeune homme, à cause de son sourire, qui me faisait penser au sourire de mon Philippe.