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BOIS-SINISTRE

terre reliant le promontoire à la terre ferme. Cette langue de terre je l’avais nommée : « L’Avenue des Cèdres » à cause de la grande quantité de ces arbres qui croissaient en cet endroit.

Mme Foret et Mme Beaurivage étaient arrivées à deux heures et demie, car la femme du médecin m’aiderait à recevoir et la femme de mon avocat allait servir le thé et les gâteaux avec Mlle Brasier.

Le studio était artistement décoré de fleurs et de fougères ; il y en avait de vrais monceaux, dans le petit boudoir, à gauche du studio, où des musiciens : un pianiste, un violoniste et un harpiste jouaient, en sourdine, des morceaux de choix. Vraiment, tout était grandiose, parfait !

Inutile d’insister sur les détails de l’inauguration ; disons seulement que j’avais rêvé en faire un succès et mon rêve se réalisait. Aussi, étais-je contente de l’idée que j’avais eue d’ouvrir mon studio au public. Je reçus force compliments sur ma petite réception ainsi que les félicitations de tous.

Une chose était évidente : nous aurions des gravures et des portraits à encadrer, plus que nous en désirerions peut-être. Eh ! bien, tant mieux ! L’orphelinat n’en deviendrait que plus tôt, non seulement un rêve, mais une réalité.

Vers les cinq heures, nous étions toutes (je veux dire Mme Foret, Mme Beaurivage, Mlle Brasier et moi) plus ou moins fatiguées. Les gens n’avaient fait qu’entrer et sortir, depuis trois heures. Il y avait eu des questions de posées, auxquelles il nous avait fallu répondre ; « les renseignements à donner des rafraîchissements à servir, etc. etc.

À cinq heures et demie, les gens commencèrent à s’en aller. À six heures moins le quart, il ne restait plus personne. Nous eûmes un soupir de soulagement et nous nous disposions à nous rendre à la salle à manger afin de nous réconforter, à notre tour, lorsque nous entendîmes le bruit d’une voiture roulant sur L’Avenue de Cèdres.

— Des retardataires ! dis-je en soupirant ; j’étais réellement bien fatiguée.

— Espérons que ce seront les derniers ! fit Mme Foret.

Je n’eus pas le temps de répondre, car on sonnait à la porte d’entrée.

En ouvrant la porte pour admettre les nouveaux venus, je me trouvai en face d’un monsieur et d’une jeune fille ; cette dernière était d’une rare beauté.

— Soyez les bienvenus ! dis-je. Car, l’excès de fatigue ne doit jamais bannir la politesse.

J’avais reconnu le monsieur ; c’était Robert Tourville, celui qui avait acheté les Pelouses-d’Émeraude.

M. Tourville, un homme de cinquante à cinquante-cinq ans, était veuf. C’était un grand type, fort corpulent. Ses traits étaient assez réguliers, mais il y avait une expression de grande dureté dans ses yeux, qui étaient d’un gris acier. Ses lèvres minces qui ne formaient qu’une ligne dans son visage et qui ne devaient sourire que rarement, dénotaient un caractère froid et entêté ; M. Robert Tourville, lorsqu’il s’était mis quelque chose en tête, devait, y tenir mordicus. On prétendait aussi que le nouveau propriétaire des Pelouses-d’Émeraude aimait l’argent par-dessus tout au monde ; de plus, qu’il était excessivement snob.

— Comment vous portez-vous, Madame ? me demanda-t-il, aussitôt que je l’eus admis dans le studio.

— Merci, Monsieur, je me porte à merveille, répondis-je.

— Je vous présente ma fille, reprit-il, en se tournant vers celle qui l’accompagnait. Béatrix, ajouta-t-il, voici Mme Duverney, qu’il te tardait tant de connaître.

— Je suis très heureuse de faire votre connaissance, Madame, fit Béatrix en levant sur moi de grands yeux bleus foncés, presque noirs.

Comme je l’ai dit plus haut, Béatrix Tourville possédait une rare beauté : blonde, avec ses cheveux pareils à des épis de blé mur, ses yeux admirables, sa bouche petite, au dessein parfait, ses joues légèrement rosée, ses traits fins et délicats, elle devait susciter l’admiration de tous ceux qui la voyaient.

La jeune fille parut admirer les dessins et peintures qui étaient en exhibition dans mon studio ; on sentait qu’elle était une artiste… du moins, dans ses goûts.

— Quelle artiste vous êtes, Madame ! s’écria-t-elle, tout en examinant une de mes peintures, signée de mes initiales : « M. D. ». Est-ce pris d’après nature, ceci ? demanda-t-elle ensuite, en indiquant un de