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BOIS-SINISTRE

elle est là ma chérie… pour me consoler un peu dans ma douleur… Olivette… petite fée Olivette… Qu’on me l’emmène… tout de suite !

— Je vais aller la chercher, répondis-je, d’une voix tellement altérée que Denis Grondin l’eut sûrement remarqué, n’eut-il pas été si absorbé dans sa douleur.

D’un pas traînant, je quittai la salle… Je me demandais ce qui allait suivre… J’avais pressentiment d’un second et horrible drame.

À quoi sert d’entrer dans de morbides détails ? ajouta l’avocat. Olivette, pauvre petite « fée Olivette », avait eu le même sort que sa mère !

Négligée par l’infidèle bonne Gervaise, l’enfant, errant à l’aventure, s’était dirigée vers le petit bois. Elle avait dû glisser sur les traîtres aiguilles de sapins… jusqu’au bord du précipice, et de là, dans le non moins traître Lac Judas…

— C’est affreux ! affreux ! fis-je.

— C’est le récit le plus douloureux, le plus épouvantable que j’aie jamais entendu de ma vie ! s’exclama Mlle Brasier.

— Et qu’advint-il de M. Grandin ? demandai-je. Le pauvre mari ! Le pauvre père !

— Une heure plus tard, lorsqu’on hissa, le long du précipice, le corps de « fée Olivette » et qu’on eut transporté le petit cadavre dans le salon, Denis Grandin, le visage tout décomposé, dit :

— Laissez-moi seul… seul, avec ma petite morte !

Nous respectâmes son désir, naturellement ; nous sortîmes du salon, fermant la porte derrière nous, et le laissâmes seul avec la dépouille mortelle de sa petite « fée Olivette »…

Soudain, un bruit terrible nous fit sursauter tous ; c’était celui de la détonation d’un pistolet. Nous courûmes au salon…

Mais avant même d’avoir ouvert la porte, nous savions que nous allions nous trouver en face d’une nouvelle tragédie : Denis Grandin, dans son désespoir d’avoir perdu, presque du même coup, et d’une manière si dramatique, les deux êtres qu’il chérissait le plus au monde, s’était envoyé une balle dans le front…

Lorsque je me penchai sur lui, espérant, contre toute espérance, qu’il respirât encore, je vis immédiatement que la balle n’avait pas dévié ; qu’elle lui avait pénétré dans le cerveau… Denis Grandin était mort… il s’était suicidé !

XXI

LE PETIT BOIS DE SAPIN


De toutes les horreurs imaginables !… m’écriai-je.

— C’est la plus lamentable tragédie ! ajouta Mlle Brasier.

— Certes ! fit M. Beaurivage.

— Et après avoir entendu ce récit, chère Mme Duverney, dit Mlle Brasier, vous ne songerez plus à acquérir Bois Sinistre, sûrement !

— Pourquoi pas, Mlle Brasier ? demandai-je. C’est un récit d’horreurs que M. Beaurivage vient de nous raconter, je l’avoue ; tout de même…

Bois Sinistre est resté longtemps inhabité, après la tragédie qui y avait eu lieu…

— Je le crois sans peine ! s’exclama Mlle Brasier.

— Mais un jour, un homme du nom de Quinton, acheta la propriété, et sa famille, c’est-à-dire sa femme et leur cinq enfants ; deux garçons et trois filles, dont les âges variaient, de huit à dix-huit ans, vinrent s’y installer avec lui… Ils n’y furent que deux mois, au bout desquels ils partirent subitement, sans en expliquer la raison à qui que ce fut…

— C’est étrange, bien étrange ! dis-je.

M. Quinton m’envoya les clefs de la maison, par la poste, avec ordre de vendre Bois Sinistre au premier acheteur qui se présenterait, et à n’importe quel prix.

— Et suis-je la première personne qui ait eu le désir d’acquérir Bois Sinistre, M. Beaurivage ? demandai-je.

— Oui, Mme Duverney, répondit-il. Bois Sinistre a la réputation d’être hanté, vous savez, ajouta-t-il en riant et…

— Oh ! Cela ! C’est un détail, fis-je, sur le même ton.

— Alors, je vous assure que, si vous n’ajoutez pas trop de… d’importance à la tragédie attachée à cette propriété, vous pouvez l’acheter à un prix très minime.

— Qu’est-ce que vous appelez un prix minime ?

L’avocat nomma un prix qui me fit ouvrir les yeux.

— C’est vraiment excessivement bon mar-