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BOIS-SINISTRE

splendide, tout à fait splendide plutôt !… Je ne sais pas si le petit château est à vendre ?

— Vous aimeriez à l’acheter, Mme Duverney ? demanda Mlle Brasier en souriant. Eh ! bien, la propriété est à vendre, car, voyez !

Du doigt, elle désigna une pancarte, sur laquelle je lus que la propriété était à vendre ; on devait s’adresser, pour tous renseignements, à M. Hector Beaurivage, avocat.

— Demain matin, à onze heures précises, nous nous rendrons au bureau de M. Beaurivage, dis-je à ma compagne. Je me propose d’acheter le petit château sur le promontoire… Je veux dire, si je puis l’obtenir à un prix raisonnable. C’est splendide ! Voyez donc ces tourelles ! Et ce petit bois de sapins, un vrai bocage enchanté ; le voyez-vous, du côté ouest de la maison ?

— Oui, je le vois d’ici, et, en effet, c’est un beau petit bocage, où il doit faire toujours très frais, même les jours de grande chaleur.

Ce soir-là, Mlle Brasier et moi nous parlâmes du petit château sur le promontoire ; j’étais remplie d’enthousiasme.

Le lendemain matin, à onze heures précises, ainsi que je me l’étais promise la veille, nous pénétrions dans le bureau privé de M. Beaurivage.

Quand j’eus fait connaître à mon avocat la raison de ma visite, il eut l’air étonné et même quelque peu étrange.

— Ainsi, vous vous êtes entichée de cette propriété, Mme Duverney ? me demanda-t-il, en souriant.

— Oui, assûrement ! J’aimerais à visiter la maison et aussi le terrain l’environnant, si possible : le plus tôt sera le mieux, M. Beaurivage, ajoutai-je, car vous savez que le nouveau propriétaire des Pelouses-d’Émeraude exige que je lui livre la maison le 1er juin, le plus tard. Mais, d’abord, parlez-nous donc de ce petit château, dont on vous a confié la vente.

— Ce « petit château », comme vous l’appelez, n’est, en fin de compte qu’une maison, sur un plan bien ordinaire, dont l’extérieur donne l’illusion d’un château. C’est une bonne maison, assez grande et très confortable…

— Que vous ne m’avez jamais recommandée de visiter, cependant, M. Beaurivage, interrompis-je. Pourquoi cela ?

— Parce que… Oh ! parce que… Je croyais que vous vouliez une maison plus gaie, répondit-il, d’un air embarrassé.

— Cette propriété est-elle désignée sous un nom quelconque ? demanda Mlle Brazier. Il me semble qu’elle doit porter un nom quelque peu prétentieux.

— Ah ! Tiens ! C’est vrai ! m’écriai-je. Quel est le nom de ce petit domaine, sur le promontoire, M. Beaurivage ? Ou bien, peut-être n’a-t-il pas été baptisé du tout ?

— Oui, le domaine en question a un nom, Mme Duverney, répondit l’avocat.

— Et ce nom ?…

— Ce nom c’est « Bois Sinistre ».

XIX

LES GRANDIN


— Bois-Sinistre !… Quel nom singulier, étrange ! m’écriai-je.

— Oui, c’est un nom étrange, répondit Hector Beaurivage. La propriété doit son nom à un petit bois de sapins qui est du côté ouest de la maison.

— Le bois de sapins… Mais, oui, nous l’avons remarqué, Mlle Brasier et moi… Il m’a paru bien joli, et ça doit être un endroit idéal durant les chaleurs de l’été !

— Il parait bien enchanteur… du chemin, au moins, ce auquel on a donné un si… sinistre nom ! s’exclama Mlle Brasier.

— Enchanteur… peut-être… Il est… traître et dangereux aussi très dangereux même.

— Dangereux ?…

— Oui. Car, en cet endroit, le terrain, qui descend en pente douce, jusqu’au bord d’un précipice, le terrain, dis-je, est couvert d’aiguilles de sapins, qui rendent le sol glissant comme un miroir… ou de la glace vive… « Bois-Sinistre » : c’est vraiment le nom qui lui convient.

— Alors, fit Mlle Brasier, « Bois-Sinistre » est… comment dirai-je ?… lugubre, inhabitable… sinistre, en un mot.

— Assûrement, oui, Mlle Brasier, et c’est pourquoi, Mme Duverney, dit M. Beaurivage, je n’ai pas songé, même un instant, à vous offrir cette propriété qui, au dire de plusieurs, est… hanté, ajouta-t-il, en riant.