— Dix jours, dites-vous ! Mais… alors… Mme Duverney…
— Elle a été portée en terre il y a huit jours, chère enfant.
J’eus une terrible crise de larmes ; mais Mme Foret fut la bonté et la patience même et elle parvint à me calmer enfin.
— Où est Philippe ? demandai-je soudain.
— Philippe est retourné à son ouvrage. Marita chérie, répondit Mme Foret. Mais il sera ici demain et il restera jusqu’à dimanche soir.
Cette nouvelle eut pour effet de me consoler un peu.
— Maintenant, il faut que je retourne chez moi, reprit Mme Foret ; mais quelqu’un viendra me remplacer auprès de vous, ma chérie… quelqu’un qu’il vous fera plaisir de voir, j’en suis sûre.
Il y avait à peu près cinq minutes que Mme Foret était partie, lorsque s’ouvrit ma porte de chambre et quelqu’un entra… quelqu’un que je ne m’étais certainement pas attendue à voir aux Pelouses-d’Émeraude.
— Mlle Brasier ! m’écriai-je.
— Oui, c’est moi, Mlle Marita, dit la vieille demoiselle en souriant, et voilà plus d’une semaine que je suis ici.
— Je… je ne comprends pas, balbutiai-je ; mais je suis, oh ! si heureuse de vous revoir, chère Mlle Brasier !
— Je vais vous expliquer ma présence ici, Mlle Marita, fit Mlle Brasier, en s’essayant à la tête de mon lit. Lorsque vous êtes tombée malade, M. Duverney écrivit immédiatement à votre cousin Arthur, lui demandant d’envoyer Yvonne, sa femme, pour vous soigner… Or, vous savez qu’Yvonne a une petite fille de trois semaines ; elle ne pouvait, conséquemment, faire le voyage. Donc, M. Tudor vint chez moi et me demanda de partir immédiatement pour les Pelouses-d’Émeraude ; il me donna même l’argent nécessaire pour l’achat de mon billet, et alors, je m’en vins ici sans retard…
— Et… Mlle Agathe ?…
— Agathe, la pauvre enfant… elle est morte, Mlle Marita !
— Morte ?… Ah ! Pauvre, pauvre Mlle Agathe !… Dites-moi, Mlle Brasier, a-t-elle beaucoup souffert avant de mourir ?
— Non, chère enfant. Elle est morte doucement et paisiblement : elle s’est tout simplement endormie… pour ne plus s’éveiller ; voilà qui me console en quelque sorte de la perte de ma sœur, que j’aimais tant.
— Dieu merci, elle n’a pas souffert ! m’écriai-je.
— J’arrivais des funérailles de ma sœur, continua Mlle Brasier, lorsque votre cousin Arthur arriva chez moi… Je n’avais plus rien qui me retint à la maison ; je partis donc immédiatement, et j’ai été ici depuis lors.
— Je suis si heureuse que vous soyez avec moi ! fis-je.
— Merci de ces bonnes paroles, Mlle Marita ! répondit-elle.
— On vous a dit peut-être, quelle bonne amie j’ai perdue en la personne de Mme Duverney ? demandai-je.
— Oui ! Oui ! Bien sûr, on me l’a dit !
— Elle a été une vraie mère pour moi, ajoutai-je en pleurant.
— Allons ! Allons, Mlle Marita, vous ne devez pas penser à d’attristantes choses ; le médecin l’a expressément défendu, dit Mlle Brasier. Il vous faut guérir le plus tôt possible ; nous avons tous été si inquiets à votre sujet… M. Duverney… nous lui envoyons une dépêche chaque matin, lui donnant de vos nouvelles ; c’est lui qui l’exige.
Je me sentis fort touché de cette marque de considération de la part de M. Philippe.
— Je vous promets de guérir le plus tôt possible Mlle Brasier, répondis-je en souriant.
— Alors, je le prédis, ce soir peut-être, vous pourrez vous asseoir sur votre lit, pour quelques instants.
— Vous le croyez vraiment ? fis-je.
— Bien sûr que je le crois, Mlle Marita ! J’ose ajouter que, demain, probablement, nous pourrons vous installer dans un fauteuil.
La prédiction de Mlle Brasier s’accomplit ; ce soir-là, je pus rester assise dans mon lit pour un quart d’heure, et le lendemain, lorsque Philippe arriva, je pus le recevoir, installée dans un fauteuil. Puis, lorsqu’il revint aux Pelouses-d’Émeraude, deux semaines plus tard, j’étais devenue une « intéressante convalescente ».