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BOIS-SINISTRE

— Bravo… il hurle la mort, répéta Prospérine, dont les dents claquaient.

— Oh ! Taisez-vous donc, Prospérine ! dit Philippe, impatienté. Ne soyez pas si sotte, hein !

— Mais, M. Philippe, persista Prospérine. n’est-ce pas singulier que Mme Duverney continue à… dormir, avec tout ce bruit que fait le chien ?

Car le chien continuait à hurler tout le temps.

— C’est… c’est singulier, en effet ! balbutia Philippe.

Il s’empara de la lampe, qui brûlait toujours dans le corridor, chaque nuit, et il s’achemina vers le lit de Mme Duverney… Je le vis se pencher sur sa tante, une fois, deux fois… puis faire un mouvement de surprise… Il posa sa main sur le cœur de la malade, sur son front… après quoi, il s’en vint directement vers nous… Son visage était blanc comme de la cire.

— Qu’y… Qu’y a-t-il ? criai-je. Mes dents claquaient, à moi aussi.

— Hélas, Mlle Marita ! me répondit il, tandis que des larmes coulaient sur ses joues.

— Qu’est-ce ? Qu’est-ce ? demandai-je, Mme Duverney ?…

— Pauvre tante Charlotte !… Elle est morte !

Je me sentis le cerveau vide soudain et il me sembla qu’une vague froide venait de passer sur mon cœur… Mme Duverney était morte !… N’était-ce pas étrange, très étrange que je portasse malheur à ceux qui m’étaient chers ?… Ma mère d’abord puis tante Marguerite… puis Mme Duverney… Cette bonne Mme Duverney qui, il y avait quelques heures à peine, m’avait dit des choses si affectueuses… elle aussi, elle était morte !

Tout à coup, j’eus la sensation que le plancher basculait sous mes pieds… Je vis les plafonds et les murs vaciller… ils allaient s’effondrer et m’écraser sous leur poids !… J’entendis le son de mille cloches… puis, un précipice sembla s’ouvrir devant moi et je sentis que j’allais y tomber…

— Philippe ! Philippe ! m’écriai-je.

Mlle Marita… Elle s’est évanouie ! fit la voix de Prospérine.

Je fus saisie dans des bras forts et vigoureux et une autre voix murmura tout près de mon oreille :

— Pauvre petite Marita ! Pauvre chère enfant !

Puis je n’eus plus connaissance de rien… excepté d’une chose : Bravo, le grand Terre-Neuve, continuait à hurler la mort…

XV

MES BONS AMIS


Je m’éveillai comme d’un cauchemar et je m’aperçus que j’étais couché dans mon lit et que Prospérine était debout près d’une table, dans ma chambre, en frais de verser un liquide jaunâtre dans un verre à vin.

— Prospérine ! appelai-je.

Elle se retourna vivement et elle eut une exclamation étonnée.

Mlle Marita ! s’écria-t-elle. Ô Mlle Marita !… Ainsi, vous vous sentez mieux maintenant ?

— Mais, oui !… Ai-je été malade, Prospérine ?

Soudain, la mémoire me revint et je fondis en sanglots.

— Allons ! Allons, Mlle Marita ! fit Prospérine. Je vous en prie, ne pleurez pas.

Mme Duverney ! pleurai-je. Elle est morte, n’est-ce pas, ma bonne vieille amie ?… Je ne l’ai pas rêvé ?

— Hélas ! oui, Mlle Marita. Ma pauvre bonne maîtresse n’est plus !

— Prospérine, criai-je, il faut que je me lève ! Il faut que je la revoie ! Je veux jeter un dernier regard sur son cher visage ! Aidez-moi à me lever !

— Mais… Mlle Marita !… Vous dites que… que vous… vous désirez revoir Mme Duverney ! s’exclama Prospérine en jetant sur moi un regard étrange. Ciel ! Ô ciel !

— Qu’est-ce qu’il y a, Prospérine ? demandai-je. N’est-ce pas bien naturel que je désire la revoir et dire une prière sur sa dépouille mortelle, quand elle a été une vraie mère pour moi ?… Aidez-moi à me lever et à m’habiller, je vous prie !

— Vraiment, Mme Marita, me répondit la servante, comme si elle venait de constater certain fait qui l’eut beaucoup surprise et embarrassée, vraiment, je ne saurais prendre la responsabilité de vous laisser quitter votre lit… Attendez, l’arrivée du médecin : s’il dit que vous êtes assez forte