Page:Lacerte - Bois-Sinistre, 1929.djvu/25

Cette page a été validée par deux contributeurs.
23
BOIS-SINISTRE

M. Philippe arrivera aujourd’hui ; je l’attends cet après-midi.

— Oui, Dieu merci pour cela, Mlle Marita ! s’exclama Prospérine. Nous avons besoin de lui ici, c’est certain !

À trois heures de l’après-midi, j’entendis les pas de Philippe dans le corridor, en bas. J’étais véritablement à bout de mes nerfs et le soulagement que j’éprouvai en constatant qu’il était arrivé fut si grand, que je déboulai littéralement tout le long de l’escalier et me jetant dans les bras du neveu de Mme Duverney, je lui dis en sanglotant :

— Philippe ! Philippe ! Ah ! Vous voilà enfin ! Que Dieu en soit béni !

XIV

LE HURLEMENT DE LA MORT


Lorsque Philippe descendit dans la salle à déjeuner, à six heures, où je l’attendais pour souper, Prospérine ayant été préposée à la garde de la malade, pour le moment, le visage du jeune homme était infiniment triste.

— Pauvre tante Charlotte ! fit-il, en se mettant à table. Elle est bien bien changée !

— Changée ! m’écriai-je. Mais, il me semble quelle est comme d’habitude ; qu’elle n’est pas changée du tout, je veux dire !

— C’est parce que vous avez été avec elle continuellement, depuis qu’elle est malade, chère Mlle Marita, répondit Philippe ; vous ne voyez pas le changement comme je le vois, moi.

— Croyez-vous ?… Croyez-vous vraiment que Mme Duverney est dangereusement malade ? demandai-je d’une voix tremblante.

— Oui, elle est dangereusement malade, pour le sûr, et je suis content que le Docteur Foret ait eu l’idée de me faire venir ici, Mlle Marita… Je le crains, cette pauvre tante Charlotte n’est plus pour bien longtemps avec nous maintenant…

— Vous voulez dire ?… Vous voulez dire quelle… qu’elle va mourir ? criai-je presque. Impossible !

— Je le crains… Le docteur Foret vous a-t-il dit que le cœur de notre pauvre malade est faible ? demanda Philippe.

— Oui, il me l’a dit ; mais…

— Alors s’il vous l’a dit… commença-t-il.

La porte de la salle à déjeuner venait de s’ouvrir doucement et le docteur entra nous trouver.

— Ainsi, te voilà arrivé, Philippe, hein ? dit-il. C’est un soulagement pour tout le monde de t’avoir ici, mon garçon !… Ta tante est bien malade, très gravement malade…

— Mon Dieu ! Mon Dieu ! sanglotai-je.

— Ne pleurez pas ainsi, Mlle Marita, continua le médecin. Nous sommes tous entre les mains de Dieu, vous le savez ; Il peut accomplir un miracle, s’il le veut. Mme Duverney…

— Un miracle ! m’écriai-je. Vous voulez dire…

— Seul un miracle peut sauver Mme Duverney maintenant… Ses poumons sont légèrement congestionnés, ce soir, et je crains beaucoup pour le cœur…

— Oh ! Que c’est affreux ! pleurai-je.

— Quoique Mme Duverney aurait besoin de tranquillité et de repos, reprit le docteur Foret, elle ne doit pas être contrariée ; donc, si elle désire que vous passiez la veillée avec elle, dans sa chambre, il vous faudra céder à son désir… Seulement, ne la laissez pas trop parler, si vous pouvez l’en empêcher ; dans l’état où elle est, elle peut se fatiguer facilement.

— Nous ferons pour le mieux, Docteur, répondit Philippe.

— Je reviendrai demain matin, dit le médecin en se dirigeant vers la porte. Inutile de vous le dire, faites-moi demander à n’importe quelle heure, s’il y a lieu.

Nous passâmes la veillée dans la chambre de la malade, Philippe et moi. La bonne vieille dame, mi-assise dans son lit, parla et parla beaucoup ; de plus elle prenait un grand intérêt à notre conversation. Je me souvins, plus tard, de tous les incidents de cette veillée ; comme Mme Duverney aimait à rappeler à son neveu les petits évènements de sa jeunesse, à lui, Philippe.

— Philippe, disait-elle, raconte donc à Marita l’histoire des pommettes ; c’était si comique !

Et Philippe de me raconter l’histoire en question.

— Oh ! Philippe, as-tu raconté aussi à Marita l’incident du cerf-volant que Zeus t’avait fabriqué, certain jour ? Tu te sou-