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BOIS-SINISTRE

dans la salle à déjeuner, elle vint nous trouver.

— Philippe ! Oh ! Philippe !

— Tante Charlotte ! Chère tante Charlotte !

Philippe embrassa sa tante sur les deux joues et ses baisers lui furent rendus au centuple.

Comme elle paraissait heureuse l’excellente dame ! Comme elle l’aimait son neveu !

— Ainsi, vous avez fait connaissance tous deux ? nous demanda-t-elle, avec un sourire heureux.

— Mais, oui, chère tante ! répondit Philippe. Mlle Marita et moi nous sommes devenus de bons amis ; n’est-ce pas, Mlle Marita ?

— Je… je crois que… Oui, répondis-je, nous sommes amis, et timidement je rougis.

— Voilà qui me fait plaisir ! dit Mme Duverney. Je suis certaine que vous êtes faits pour vous entendre, toi et Marita, Philippe.

— Je l’espère ! répondit-il.

Après le souper, nous nous rendîmes dans le salon afin d’y passer la veillée. Philippe ne manqua pas de remarquer son portrait encadré, et Mme Duverney ne manqua pas, de son côté, de lui dire que c’était moi qui lui avais fait ce cadeau-surprise. Je reçus donc les félicitations de notre visiteur.

— Merci, lui répondis-je. Mais, c’est mon métier que celui d’encadrer les images et portraits, conséquemment…

M. Philippe était bon musicien : de plus, il possédait une belle voix. Nous donnâmes donc un concert, lui et moi, ce soir-là, aux Pelouses-d’Émeraude. En l’honneur de notre visiteur, Mme Duverney veilla jusqu’à dix heures, heure à laquelle Prospérine vint nous apporter nos bougies. Ayant échangé des « bonsoir », chacun se retira dans sa chambre.

Chose étrange, je ne pouvais ni lire ni écrire, ni dessiner ce soir-là. Pour une raison ou pour une autre, mes pensées erraient à l’aventure. Je me sentais le cœur excessivement léger, sans savoir pourquoi… Est-ce que vraiment je commençais à oublier ?… Non, c’était impossible ! J’avais trop souffert ; j’avais été trop humiliée pour me consoler si tôt !… Si je me sentais moins malheureuse, peut-être parce que nous étions à la veille de Noël… Cependant…

Lorsque je m’endormis, vers minuit, j’étais encore à me poser deux questions : pourquoi avais-je le cœur si léger ?… Pourquoi étais-je si heureuse ?…

XI

JOURS ENSOLEILLÉS


Philippe Duverney était un commis voyageur ; il voyageait pour une compagnie importante, et d’un bout de l’année à l’autre. Ayant droit à deux semaines de congé, par année, il passait toujours ce temps avec sa vieille tante Charlotte ; soyez assurés que Mme Duverney n’avait pas manqué de me faire remarquer la chose.

— Penses-y, Marita ! Un charmant garçon comme Philippe, si recherché partout, passant tous ses congés avec moi ! Une vieille femme comme moi ! N’est-ce pas adorable de sa part ?

C’était indéniable vraiment !

Après le déjeuner, le lendemain de l’arrivée de Philippe aux Pelouses-d’Émeraude, il demanda :

— Qu’y a-t-il sur le programme pour aujourd’hui, tante Charlotte ?

— Oh ! Je n’en sais rien, moi ; il faut le demander à Marita, répondit Mme Duverney en souriant.

— Eh ! bien, Mlle Marita ?…

— C’est la veille de Noël, vous savez M. Philippe, fis-je, et il y a beaucoup de choses à faire… Ce matin, je vais lire et faire la correspondance pour Mme Duverney, comme d’habitude ; cet après-midi, par exemple !…

— Qu’y aura-t-il à faire, cet après-midi, Mlle Marita ?

— Il y a l’arbre de Noël à finir de préparer et…

— L’arbre de Noël ?… Y aura-t-il vraiment un arbre de Noël ? s’exclama Philippe.

— Bien sur… et il sera superbe !

— Mais, pour qui le préparez-vous ?… Oh ! que je voudrais être jeune encore ! s’écria-t-il, d’un ton si comique que Mme Duverney et moi nous éclatâmes d’un rire joyeux.

— L’arbre de Noël est une idée de Marita, dit Mme Duverney ; il est pour quinze à vingt enfants pauvres du village. Quelle fête pour eux, hein, Philippe ?

Mme Duverney a eu la bonté de me