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BOIS-SINISTRE

elle ne manquait jamais de m’exprimer sa reconnaissance, dans tous les termes possibles, chaque fois qu’elle mettait le pied dans le salon, depuis.

— Oh ! s’était écrié M. Philippe, en m’apercevant, ce lundi, avant-veille de Noël. Je vous prie bien de m’excuser, reprit-il aussitôt. Puis, souriant il ajouta ; Vous êtes Mlle Marita, n’est-ce pas ?

— Oui… Et vous êtes M. Philippe, je crois ? fis je, souriant à mon tour.

— Comment vous portez-vous, Mlle Marita ? demanda-t-il en me tendant la main.

— Je me porte bien, je vous remercie, répondis-je, en mettant ma main dans la sienne.

— Et tante Charlotte ?

— Elle est sortie, pour le moment ; mais elle ne saurait tarder à revenir maintenant.

— Oh ! M. Philippe ! interrompit soudain la voix de Prospérine. Ainsi, vous êtes arrivé ?

— Comme vous voyez, ma bonne Prospérine.

— Que Mme Duverney va être contente !… De fait, nous sommes tous heureux de vous voir… N’est-ce pas, Mlle Marita ? fit Prospérine.

— Votre santé est excellente, je l’espère, Prospérine, ainsi que celle de ce bon Zeus ? demanda vivement M. Philippe, pour ne pas me mettre dans l’embarras de répondre, probablement.

— Nous sommes florissants de santé, je vous remercie, répondit la brave femme. Zeus va être désolé de n’avoir pas été à la gare, à l’arrivée du train, M. Philippe, ajouta-t-elle ; mais nous ne vous attendions que demain… Maintenant, je suis sûre que vous devez avoir faim, M. Philippe ?

— Faim, Prospérine ! s’exclama M. Philippe d’une ton tragi-comique qui me fit rire malgré moi. Je pourrais manger… un pan de la maison, en ce moment ! Vous le savez, l’appétit ne me fait jamais défaut, donc, s’il y a quelque chose à manger dans la dépense… j’y ferai honneur.

— Dans moins de dix minutes, je vous servirai un goûter, M. Philippe, assura Prospérine en se retirant.

Il était presqu’impossible de ne pas aimer M. Philippe Duverney, à première vue, et, disons tout de suite qu’il y gagnait à se faire connaître. Sa physionomie était à la fois aimable et fort attrayante, son sourire ou son rire, contagieux. Vous compreniez que vous vous trouviez en face d’un vrai bon garçon et il vous inspirait confiance, tant son regard était franc et clair. Il était bel homme aussi, brun, et d’une stature imposante ; pour ma part je me dis qu’il était la perfection faite homme.

Mme Duverney m’avait toujours parlé avec enthousiasme de son neveu. Bien souvent, elle m’avait dit :

— J’ai bien hâte que tu fasses la connaissance de Philippe, Marita ! Tu l’aimeras, bien sûr ; car c’est le garçon le plus aimable, le plus charmant qu’on puisse rêver.

— Vous êtes bien songeuse, Mlle Marita ? fit tout à coup la voix de M. Philippe. Peut-on savoir à quoi vous songiez si sérieusement ?

— Ça ne vous intéresserait nullement de savoir M. Philippe, répondis-je en souriant.

— Dans tous les cas, laissez-moi vous dire comme je suis heureux de savoir que tante Charlotte a trouvé en vous une si… charmante (puis-je dire franchement ce que je pense) ? compagne. La savoir entourée de soins, d’affection et de gaité, cela me rassure sur son compte… Je savais que vous étiez ici, naturellement, car tante Charlotte me l’avait écrit ; elle a ajouté qu’elle ne savait pas comment elle pourrait vivre désormais, sans votre compagnie.

— Chère Mme Duverney ! m’écriai-je. Elle est devenue une vraie mère pour moi.

— Ainsi, vous êtes heureuse ici, Mlle Marita ?

— Heureuse ?… Jamais je n’ai été aussi heureuse de ma vie !

— Votre goûter est prêt, M. Philippe !

C’était la voix de Prospérine.

— Me feriez-vous l’honneur de verser le thé, Mlle Marita ? me demanda-t-il.

— Certainement ! Avec plaisir, M. Philippe !

Le goûter avait été servi dans la salle à déjeuner. Bientôt, M. Philippe et moi, nous « cassions la croute » ensemble, tout en causant et riant, comme si nous avions été de vieilles connaissances.

— Ah ! Voici la voiture ! m’écriai-je soudain, car je venais d’entendre le grincement des roues sur le chemin pierrotté, dehors.

Mme Duverney ouvrit la porte d’entrée. Nous la vîmes pénétrer dans la bibliothèque, puis, entendant, sans doute, des voix