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BOIS-SINISTRE

ney. Je vais te donner la chambre voisine de la mienne, pour ce soir, ajouta-t-elle ; demain, tu choisiras les pièces qui te conviendront. Tu pourras même prendre possession de toute la tour, si tu le désires, acheva-t-elle en riant.

Les chambres à coucher étaient, elles aussi, grandes, confortables et aérées au moyen de larges fenêtres ; de plus, elles étaient toutes splendidement meublées.

Je soupirai d’aise quand, ce soir-là, je posai ma tête sur mon moelleux oreiller. Nonobstant la peine qui me rongeait le cœur en pensant à Arthur et au passé si peu éloigné, j’étais sûre de trouver la paix, sinon le bonheur aux Pelouses-d’Émeraude.

IX

INSTALLATION


Les jours qui suivirent furent, je crois, les plus heureux de ma vie ; j’étais charmée des Pelouses-d’Émeraude, qui me semblait être le plus beau domaine de la terre, et puis, j’avais, en perspective, l’agréable tâche de choisir ma chambre à coucher, mon atelier, etc. ; de m’installer tout à fait à mon goût enfin.

Depuis trois jours que j’étais chez Mme Duverney et que j’occupais encore la chambre voisine de la sienne, au-dessus du salon : mais le quatrième jour, après avoir examiné toutes les pièces du deuxième plancher, je résolus de prendre pour miennes celles qui étaient au-dessus de la bibliothèque et du boudoir, ce boudoir faisant partie de l’aile.

Donc, de la pièce au-dessus de la bibliothèque je fis ma chambre à coucher et de celle au-dessus du boudoir, je fis mon boudoir privé.

Il peut vous paraître étrange que j’eusse senti le besoin d’un boudoir à moi, quand je pouvais me servir de la bibliothèque et du boudoir du premier palier, autant que je le désirais. Mais, Mme Duverney se couchait tôt, chaque soir : à neuf heures, elle se retirait, pour la nuit, et comme Prospérine et son mari se couchaient de bonne heure, eux aussi, je restais seule sur le premier plancher, jusqu’à onze heures ou minuit, car j’ai toujours détesté et je détesterai toujours me coucher de bonne heure.

Maintenant, d’être seule sur un palier, le soir, cela me produisait une impression pour le moins désagréable, que toute personne nerveuse comprendra sans peine. Ce n’est pas rassurant de se dire que peut-être quelque passant vous observe du dehors, ou bien qu’il peut y avoir quelqu’un de caché en arrière d’un rideau ou d’une portière. L’imagination nous joue de bien mauvais tours parfois et vraiment, durant les quelques veillées que j’avais passées seule, en bas, j’avais senti trop souvent mes cheveux se dresser sur ma tête (à propos de rien je l’avoue) pour apprécier la sensation que cela me causait. Un boudoir faisant suite à ma chambre à coucher, ah ! voilà qui était agréable par exemple ; je n’avais qu’à fermer la porte de ma chambre ouvrant sur le passage, afin de ne déranger personne, et alors, rien ne m’empêchait de rester debout jusqu’aux petites heures du matin, si cela me plaisait, lisant écrivant, dessinant ; bref, me distrayant à ma manière.

Je veux vous parler de la tour. Elle était à deux étages, dont chacun contenait une belle pièce grande et ronde. Du premier étage je fis mon studio ; du deuxième, mon atelier.

Je suspendis aux murs de mon studio quelques gravures bien encadrées ; sur des chevalets je plaçai des dessins que j’avais faits moi-même. Trois jolies chaises en jonc, deux belle statues, une petite table au modèle fort artistique et antique, sur laquelle j’avais jeté des essais au crayon, complétaient le tout. Selon moi, c’était un rêve que ce studio !

Le second étage de la tour (mon atelier) contenait, à part de mes outils de travail, de splendides moulures et de la vitre en grande quantité ; tout cela, acheté avec mes propres économies. Une table, longue et solide, laquelle, m’avait assurée Prospérine, n’avait jamais été d’aucune utilité dans la cuisine, avait été transportée dans mon atelier et placée au milieu de la pièce.

Car, je n’allais pas me livrer à l’oisiveté, vous le pensez bien ! J’avais remarqué un ou deux portraits et d’exquises gravures, dans le salon et la bibliothèque qui n’avaient pas été encadrés, vu que les encadreurs étaient plus que rares dans les environs ; j’allais les encadrer et en faire cadeau à cette bonne Mme Duverney.

Quand je fus toute installée, j’invitai Mme Duverney de venir voir mon instal-