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BOIS-SINISTRE

dressant à l’étrangère et en me désignant, voici Marita, ma petite cousine… Marita, ajouta-t-il, voici Yvonne, ma femme… Nous sommes mariés depuis avant-hier… J’espère que vous serez d’excellentes amies, toutes deux.

Sa femme !… Je crus que j’allais m’évanouir… Tout devint obscur autour de moi et mes jambes semblaient trop faibles, tout à coup, pour me supporter… Sa femme ! La femme d’Arthur ! Mais… j’avais compris que… Cependant non ! Je me souvenais maintenant que mon cousin ne m’avait jamais demandée en mariage… Il avait parlé de son mariage… à lui… il avait dit qu’il y aurait prochainement une jeune Mme Tudor dans la maison et que j’aurais ainsi un chez moi avec lui… De m’épouser, jamais il n’avait dit mot… Mme Duverney et moi nous nous étions trompées… du moins, nous avions compris… mal… ou plutôt, pas du tout…

Comme je me sentais faible !… Une transpiration froide m’inondait littéralement de la tête aux pieds… Grand Dieu ! allais-je perdre stupidement connaissance… me donner en spectacle, là, devant Arthur, devant sa femme ; celle qu’il m’avait préférée ?…

La pensée va vite ; je pensai à ma robe de noces… à mon voile de mariée… à ma guirlande de fleurs d’oranger… à mes gants allant jusqu’au coude… à mes bas de soie blancs… à mes souliers de chevreau blanc… mes souliers surtout m’intéressaient par-dessus tout, à ce moment.

Au centre de la table de la salle à manger était le gâteau de noces… Je dus perdre la tête, du moins, durant l’espace de quelques instants, car il me sembla voir les petits Cupidons se tenant par la main et dansant en ronde autour du gâteau. Soudain, l’un d’eux sauta sur la table et glissant ses pieds dans mes souliers de chevreau blanc, il se mit à valser… Les souliers étant bien trop grands pour ses petits pieds, le Cupidon était vraiment grotesque lorsqu’il essayait de les soulever en dansant. N’était-ce pas très comique ?…

Je me mis à rire. Je ris, je ris aux éclats, je ris aux larmes ; des larmes lourdes, brûlantes coulaient sur mes joues ; je les sentais couler, on eut dit qu’elles étaient de plomb… Pourtant, je continuais à rire. Comme dans un rêve, je voyais Arthur et sa femme penchés sur moi, et toujours je riais… je riais…

C’est alors que Mme Duverney entra dans la salle à manger, et je l’entendis, quoiqu’il me semblait que sa voix venait de très loin ; elle disait :

— Cette enfant-là est à moitié morte de fatigue. Elle a une crise nerveuse en ce moment et ça ne me surprend pas.

— Pauvre Marita ! s’exclama Arthur, en passant sa main sur mon front.

— Elle s’est épuisée à travailler, afin que tout fut prêt pour votre réception, Arthur, continua Mme Duverney.

— Pauvre, pauvre petite cousine ! fit, de nouveau Arthur.

— J’en suis excessivement peinée ! murmura Yvonne.

— Oh ! Si elle pouvait donc cesser de rire ainsi ! s’écria mon cousin.

Car je riais tout le temps… Ces Cupidons, dansant toujours en ronde autour du gâteau de noces, me paraissait si, si drôles, avec leurs petits corps si gras et leurs ridicules petites ailes !

— Marita ! cria Mme Duverney soudain. Cesse de rire ainsi ! Cesse, à l’instant, entends-tu !

Cette bonne Mme Duverney se mit à me secouer et à me serrer le bras avec une telle force que cela me fit bien mal. La douleur purement physique que j’éprouvai de ce rude traitement me fit cesser de rire ; mais je me mis à pleurer. Je pleurai et je pleurai… Des sanglots convulsifs s’échappaient de ma poitrine… puis le cœur me manqua tout à coup, et je dus perdre connaissance, car je ne me souviens plus de rien…

Quand j’ouvris les yeux, que je revins à la connaissance de ce qui m’entourait, je m’aperçus que j’étais couchée dans mon lit et que cette bonne Mme Duverney était penchée anxieusement sur moi.

VII

LE LENDEMAIN


Aussitôt que je devins tout à fait consciente de ce qui m’entourait, j’éclatai en sanglots.

Mme Duverney ! Mme Duverney ! m’écriai-je. Arthur !… Notre mariage !… Le…