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une minute ou deux, puis, en souriant, et comme se parlant à lui-même :

— Bast ! c’est quelque maniaque, dit-il.

Et il déposa sa mise sur la roulette.

Dix minutes après, il ne lui restait que le billet de cinq cents francs. Il le fit échanger, mit en réserve dix louis et aventura les quinze autres sur la table fatale. La sueur perlait sur son front baissé. En trois coups, il perdit ce suprême enjeu. Tout son or s’évanouissait sous l’œil terne et fixe de ce lugubre spectateur qui semblait être pour lui la personnification vivante du guignon.

Pour rien au monde Lacenaire n’aurait voulu manquer à sa parole envers les jeunes gens assemblés chez Tonnellier, et, tout ruiné qu’il était, il garda les deux cents francs extraits du dernier billet pour faire face aux dépenses de la nuit. Il descendit donc du 36. L’ironique vieillard l’accompagnait encore dans l’escalier, et son ombre se projetait sur ses murs blancs de lumière, comme une silhouette infernale. Arrivé en bas, il pressa le pas dans le sens opposé à la route de Lacenaire, et lui dit une seconde fois, mais alors avec un ricanement sarcastique : « Le jeu mène à l’échafaud, jeune homme ! le jeu mène à l’échafaud ! souvenez-vous-en ! »

Puis il disparut comme un éclair à l’un des couloirs qui conduit de la galerie à la rue de Valois.

Le froid de la nuit avait saisi Lacenaire, et il eut hâte de regagner la voiture qui l’attendait.

— À la barrière du Maine, chez Tonnellier, dit-il en entrant dans le cabriolet, au cocher endormi sur son siège.