Page:Lacenaire, éd. Cochinat, 1857.djvu/79

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lui restait encore à peu près cent écus. L’idée lui vint alors d’aller au jeu gagner la dépense de la soirée, et, si la chance le favorisait, celle de la nuit.

Sans être au niveau de ses glorieux hôtes, l’amphitryon avait reçu un coup de feu dans la bagarre, et se trouvait, selon l’expression consacrée, légèrement ému. Il ne réfléchit donc pas davantage, descendit du cabriolet, en donnant l’ordre au cocher de l’attendre devant le passage Radziwill, et monta en titubant l’escalier du numéro 36.

Ses trois cents francs partirent aussi vite qu’une pincée de tabac au vent. Il y avait déjà quelques semaines qu’il ne jouait plus, ayant reconnu toutes les déceptions qu’amène cette habitude, mais cette perte le piqua au vif, et il ne voulut point la laisser sans compensation. Il retourna chez lui en voiture, chercher une somme nouvelle. Celle qu’il rapporta fila aussi vite que la première. Il se fit reconduire une seconde fois à son domicile et revint au 36. La déveine continua à faire le vide dans sa poche. Voulant en venir à bout, il s’élança de nouveau dans le cabriolet, et prit cette fois mille francs ; la mauvaise chance s’acharnait à le poursuivre, et les cent pistoles s’envolèrent à tire d’aile.

Pendant ce temps-là, les clercs, repus, bivouaquaient au restaurant en attendant la fin de l’armistice. Les uns chantaient et imitaient des cris d’animaux, les autres jouaient et juraient. Un d’eux, jeune blondin, encore peu habitué au feu, avait voulu, à cause même de son inexpérience, se distinguer des plus intrépides, et, dans une ivresse opaque, il s’était juché sur la table pour