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ments dans toute leur âcreté. En ce temps de discussions envenimées, malheur aux tièdes ! — La politique se mêlait à tout, s’infiltrait partout : dans les tabatières à la Charte ; dans les réimpressions de Voltaire, de l’éditeur Touquet ; dans les chapeaux à la Bolivar, et dans ceux dont les coiffes étaient illustrées de portraits de Lafayette, de Lafitte, de Dupont (de l’Eure), etc. Au restaurant, au café, au cercle, on ne se groupait qu’avec les gens de son bord, et jusque dans les maisons de jeu non publiques, la ressemblance des opinions assortissait les adversaires.

Lacenaire fréquentait assidûment ces derniers endroits, autant par plaisir que par nécessité, et il avait rencontré dans l’un d’eux le neveu de Benjamin Constant, le célèbre orateur de l’opposition.

Le jeune homme était aussi joueur que son illustre parent, mais il n’avait pas cette générosité dans le gain, cette insouciance dans la perte, et cette exquise urbanité qui faisaient de son oncle, soit à la tribune, soit autour d’un tapis vert, le plus accompli des gentilshommes.

Il se fâcha après quelques pertes réitérées, et chicana Lacenaire, contre lequel il jouait, sur un coup douteux.

À l’imitation de ceux qui se sentent véreux, ou tout au moins suspects, Lacenaire mit avec emphase en avant son honneur et sa délicatesse.

— Je n’ai pas besoin de parler de tout cela, lui répondit M. de Constant ; le nom que je porte est une garantie de ma loyauté, tandis que je me demande encore