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veau chercher Lacenaire au café de la Bourse, où il avait eu le front de retourner. De là il fut conduit au dépôt de la Préfecture.

Dans ce vestibule de la Cour d’assises, il se joua entre lui et les autres détenus une petite comédie assez comique :

Lacenaire avait trop de vanité pour n’en pas faire paraître un peu dans un pareil endroit, et il s’efforça tout d’abord de ne point passer parmi les habitués du lieu, pour un petit voleur. Il commença donc par payer, sans se faire tirer l’oreille, et le plus largement possible, la bienvenue ordinaire, à la façon d’un homme au fait des usages locaux ; puis, il garda un silence dédaigneux envers la plèbe des fripons, comme il sied à un grinche d’importance,tout en ayant soin de se montrer moins roide avec ceux qu’il soupçonnait d’être les gros bonnets de l’endroit, les sommités de la salle. Ce plan, qui ne l’empêchait pas cependant de garder une certaine réserve à leur égard, lui réussit complètement, et il parvint à se faire prendre pour une vieille maison, un cheval de retour en garde contre les reconnaissances intempestives. Deux ou trois membres de la haute pègre daignèrent même se remémorer son visage, comme celui d’un camarade de là-bas, c’est-à-dire du bagne.

Lacenaire déclina cet honneur ; mais ses négations étaient si molles, et, pour ainsi dire, si affirmatives, qu’on le considéra aussitôt comme une notabilité digne de figurer dans l’état-major du dépôt.

Il en était charmé ; mais une chose le gênait horriblement : c’était sa complète ignorance de l’argot. —