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en poche une trentaine de francs, reste de sa délation, il voulut à toute force dîner dans l’auberge.

Il est sûrement aussi difficile de chasser de la tête d’une femme coquette l’image d’un bijou désiré, que du cerveau d’un homme en ribotte une fantaisie née dans l’ivresse. Il n’y eut pas moyen de détourner celui-ci de son idée fixe. Il fit donc dresser triomphalement une table en face de ses antagonistes, et demanda bruyamment de l’absinthe. Il aurait, certes, pu se passer de ce dernier poison, mais, cesser de boire devant des adversaires… allons donc ! — L’ivrogne tombe et ne se rend pas !…

Lacenaire fut instamment sollicité de partager ce repas, car son compatriote tenait d’autant plus à le régaler qu’il l’avait trahi. Comme compensation du tort qu’il lui avait causé, il voulait manger avec lui le salaire de la dénonciation. C’était sans doute au fond des choppes précédemment vidées que le délateur repentant avait puisé l’idée de cette expiation. — La bière lave les consciences.

La colère rongeait le cœur de Lacenaire pendant tout ce temps perdu inutilement. Son impatience de laisser le soulard au coin de quelque bois augmentait avec toutes ces lenteurs, et il voyait sa vengeance se retarder indéfiniment ; car, au train dont allait son camarade, on ne pouvait prévoir à quel moment il sortirait de ce cabaret maudit.

Il fut obligé de faire contre fortune bon cœur, en attendant une occasion favorable au nouvel assassinat qu’il méditait, et promit à son ami de dîner avec lui. Ce consentement obtenu, le banqueroutier se prépara à faire honneur au festin commandé, et, pour mieux y parve-