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ODE À LA GUILLOTINE


Terra suscepit sanguinem fratris tui de manu tua.
Genèse, iv, 11.


I

                                                
Longtemps après le jour qui vit notre naissance,
Lorsque loin du berceau s’échappa notre enfance,
Lorsque sans être un homme on n’est plus un enfant,
De l’avenir, dit-on, se soulève le voile ;
De l’Et nous pouvons dans notre étoile
De l’Lire le sort qui nous attend.

Alors la destinée à nos yeux se révèle,
Rêve affreux, que la mort apporte sur son aile,
Qui de l’homme endormi plisse le front d’effroi ;
Car ainsi que Macbeth, on aperçoit trois femmes,
Qui, par des cris affreux, épouvantant nos âmes,
Nous laissent pour adieux ces mots : Tu seras roi !

II


On dit qu’il sommeillait… peut-être en une orgie :
Où de vin répandu, la table était rougie ;
Une femme parut, qui pressait dans sa main
Des roses et des fleurs, fumier du lendemain.
Cette femme riait d’une effrayante joie ;
Comme un peuple qui rit près d’un trône qu’il broie.
Mais son front était beau, mais on y pouvait voir
Le passé sans remords, l’avenir sans espoir,
Et de haine et d’amour un horrible mélange,
Un regard de démon, dans une larme d’ange ;
Et celui qui dormait tout à coup tressaillit ;
L’amour lui vint au cœur ; l’insensé le lui dit.

— « Jeune homme, pour m’aimer ton âme est impuissante ;
« Mon amour doit tuer ceux dont je suis l’amante.
« Fuis, les autres amants ont, pour mourir, un lit !
« Les miens n’ont, à leur mort, qu’une foule qui rit ;