Page:Lacenaire, éd. Cochinat, 1857.djvu/26

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ce fut précisément pendant cette époque de dissipation et à cette heure où les défauts de l’adolescent se changeaient en vices, qu’on songea à lui faire faire sa première communion. Ce n’était pas chose facile, car l’externe, esprit fort, regardait comme une corvée l’accomplissement de cet acte. Aussi, lorsque, la veille de communier, son confesseur, voyant, au degré de son instruction religieuse et à ses allures, qu’il n’était pas préparé à recevoir le divin Sacrement, l’engagea à ajourner cette cérémonie, le pénitent lui répondit avec une bonhomie assez narquoise : — « Oh ! mon père, dans dix ans je ne serai pas mieux préparé que maintenant. » — Le prêtre était un homme simple et pieux ; il ne comprit pas le sens double et malicieux de cette réponse, et donna l’absolution au communiant, lequel se rendit immédiatement… au spectacle.

Talma jouait, ce soir-là, à Lyon, ce rôle de Manlius, qui est resté une de ses plus belles créations, et le collégien, qui ne révait que spectacle, l’écoutait dans l’extase.

La tragédie finie, il alla en droite ligne, le cœur encore tout palpitant des émotions de la soirée, dans la loge du concierge du théâtre, demander à voir le grand acteur, auquel il avait une prière à adresser.

Il ne put y parvenir, car tout ce qu’il y avait à Lyon d’hommes éclairés et amis de l’art encombraient la loge du tragédien. Le spectateur enthousiaste fit une ronde aux alentours du théâtre pour l’attendre à sa sortie ; mais Manlius, entouré d’une suite d’admirateurs, monta en voiture et se rendit chez un de ceux qui s’étaient disputé l’honneur de le loger.