Page:Lacenaire, éd. Cochinat, 1857.djvu/205

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Non. Ma tête était mon enjeu ; je n’ai pas compté sur l’impunité. Il y a une chose, en effet, à laquelle on est forcé de croire : c’est à la justice, parce que la société se fonde sur l’ordre.

— Mais, ce sentiment de la justice, c’est la conscience, répliqua l’avocat.

— Moins le remords.

— Je ne comprends pas l’un sans l’autre. L’idée de la mort ne vous effraye-t-elle pas ?

— Nullement. Mourir aujourd’hui ou demain, d’un coup de sang, d’un coup de hache, qu’importe ? J’ai trente-cinq ans, mais j’ai vécu plus d’une vie, et, quand je vois des vieillards se traîner et s’éteindre dans une lente et douloureuse agonie, je me dis qu’il vaut mieux mourir d’un trait et avec l’exercice de toutes mes facultés.

— Si vous pouviez vous suicider maintenant pour échapper à l’ignominie de l’échafaud, le feriez-vous ? lui demanda encore le docteur.

— Non. Eussé-je le poison le plus actif, je ne me suiciderais pas. D’ailleurs, la guillotine n’est-elle pas, de tous les poisons, le plus subtil ? Voici pourquoi je ne me suiciderais pas : j’aurais pu me tuer avant d’avoir versé le sang ; assassin, j’ai compris que j’avais établi entre l’échafaud et moi un lien, un contrat ; que ma vie n’était plus à moi, qu’elle appartenait à la loi et au bourreau.

— Ce sera donc à vos yeux une expiation ?

— Non… une conséquence,l’acquit d’une dette de jeu.

— Quelle logique !… Croyez-vous, Lacenaire, que tout soit fini avec la vie ?…

— C’est à quoi je n’ai jamais voulu songer.