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tripot-restaurant, car il était aimable, affable, serviable même pour ses amis, et d’une politesse parfaite avec tout le monde. Il était souvent gai comme un enfant, et quelquefois sombre comme un mélodrame. Mais, en général, nous disait M. X…, il avait l’air d’un jeune prêtre. Il jetait l’argent à pleines mains quand il était en veine de vols. Chaque fois qu’il régalait ses camarades, il faisait passer en revue l’une après l’autre toutes les sortes de liqueurs étagées chez Olympe, et se plaisait à admirer leurs couleurs diverses emprisonnées dans les flacons. Lorsqu’il lui prenait fantaisie, en sortant, de se faire cirer les bottes par le décrotteur, qui se tenait alors sous le péristyle du Théâtre-Français, il lui donnait deux ou trois francs, et quand il en avait le temps, il ne manquait jamais d’aller se faire raser à la Butte-des-Moulins, chez un nommé Goujon, auquel il ne payait chaque barbe jamais moins de cinq francs.

Ce Goujon, petit de taille, et doué d’une force colossale,était d’une famille où, de père en fils, on allait au bagne. Il n’a pas échappé au malheur héréditaire de sa race, et il est maintenant à Cayenne pour le reste de ses jours. On peut voir par là que la famille Martial, des Mystères de Paris, n’est pas une pure invention de M. Eugène Sue. Du reste, il y a comme cela un assez grand nombre de choses romanesques que le bon Dieu a trouvées avant nos auteurs à la mode.