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Nature douce et forte aux durables empreintes,
Tu saurais pardonner, mais non point oublier.
Crains du ressouvenir les poignantes étreintes !
Tu maudirais tes dieux sans les calomnier !

Aimer, lutter, souffrir, mieux vaut l’indifférence !
La paix, du moins, la paix est dans l’obscurité.
Pour conquérir le but où va ton espérance,
Il faudrait moins d’amour et plus de vanité.

Tu saurais trop aimer ! — Ton cœur, c’est ton génie.
Toute à chacun, ta vie a soif de dévoûment.
Ce qu’il ne peut sentir, l’égoïste le nie :
L’air qu’il lui faut, ami, n’est point ton élément.

Tu saurais trop aimer ! — De navrantes tendresses
Sans profit ni merci dévoreraient tes jours ;
Ta main se glacerait entre des mains traîtresses :
L’aspic naîtrait couvé par l’Ève des amours !

Tu saurais trop aimer ! — À tes instincts rebelle,
En vain tu voilerais les flammes de ton cœur ;
L’âme aimante est un lys que son parfum décèle :
Ferme à d’ingrats frelons ta vie et ta liqueur.

Devant le mal vainqueur, devant le fait cynique
Si tu baissais les yeux ou détournais le front :
“Il ne voit pas ! ” dirait la Dupe satanique.
L’un niera ta pudeur, d’autres l’exploiteront.