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Muse, dès le berceau toi qui fus ma nourrice,
Toi la mère et la sœur et la consolatrice,
Si ton culte jamais à mon esprit fut cher,
Entends ce cri poussé par mon âme et ma chair.
Ce n’est point, aujourd’hui, pour moi que je t’implore,
Mon cœur ne saigne plus, bien qu’il palpite encore :
Ma veine est desséchée et mon jour est rempli.
Ce qu’il me faut cueillir, c’est la fleur de l’oubli…
Eh bien, soit ! levez-vous, croissez sur mes ruines,
O roses sans parfums, mais aussi sans épines !
Dans mon sentier désert, sur mon stérile écueil,
Berçant aux vents des nuits vos emblèmes de deuil,
Levez-vous ! — Et toi, meurs, jeunesse inassouvie !
Rêve impossible à qui, mon nom, mon art, ma vie,
J’avais tout immolé ! Longtemps, lâche énervé,
J’ai pâli, j’ai langui d’un bonheur introuvé.
J’ai pu longtemps, ô Muse ! ô ma seconde mère !
Te préférer une ombre, une aride chimère ;
Mais ils sont loin, ces jours d’ardente oisiveté :
Avec mon cœur tu m’as rendu ma liberté,
Clémente amie ! eh bien, par mon retour sincère,
Par mes jours expiés de honte et de misère,
Par ces pleurs dont toi seule as su tarir les flots,