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Ferme-toi donc ! subis, âme haute et limpide,
De ton culte sacré subis l’auguste loi.
D’un monde où tout est faux, et servile, et cupide,
Les liens mensongers ne sont pas faits pour toi.

L’homme est ingrat et dur, la femme amère et vide.
Poète, que leur font tes songes étoilés !
Les belles voluptés dont ta soif est avide
Ne roulent point en eux leurs flots immaculés.

Vis et chante à l’écart ; dans tes rimes heureuses
Réfléchis les splendeurs du tranquille univers.
À la femme, à la fleur, à ces choses trompeuses,
Ne prends que le parfum qu’il te faut pour tes vers.

Passe au milieu des jours libre, calme, impassible,
Couvre ton cœur brûlant de sereines froideurs ;
Comme en ces bassins bleus où dort l’astre paisible,
Que ton chaste Idéal dorme en tes profondeurs !

Si jamais, ébloui d’une flamme éphémère,
Sous des yeux enivrants tu te troublais un soir,
Étouffe dans ton sein la naissante chimère !
Arrache de ton cœur un impossible espoir !

À ton tour ne va point, dans la tourbe adultère,
Brûler un lâche encens sur quelque autel banal :
Plus elle sait aimer, plus l’âme doit se taire ;
Porte sans défaillir l’ivresse de ton mal !