Page:Lacaussade - Poésies, t1, 1896.djvu/16

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
2
LES ÉPAVES


Pareil est votre sort, poètes !
Vous partez : l’air est calme et le flot aplani.
Rêvant d’idéales conquêtes,
Vous rencontrez l’abîme en cherchant l’infini.

Comptant sur vos jeunes courages,
L’horizon vous fascine et vous quittez le port ;
Mais l’onde est fertile en naufrages,
Et j’y sais des écueils plus cruels que la mort.

Contre vous, la haine et l’envie
Au flot perfide, aux vents s’unissent, noirs corbeaux.
Dans les tourmentes de la vie
Vous sombrez, et l’oubli disperse vos lambeaux.

Et, sur la grève solitaire,
Le rêveur attardé que la nuit a surpris,
Sous la houle au mouvant mystère
Voit dans l’ombre flotter vaguement vos débris.

Débris de cœurs vaincus, mais braves !…
Qu’ils racontent du moins vos destins submergés,
Vous dont il reste pour épaves
Des rêves, des espoirs et des chants naufragés !