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et cependant faire sur eux une vive impression.

Je jetai un regard furtif sur les vingt piastres. Vingt piastres à moi, fils d’habitant, âgé de 19 ans et 4 mois ! Une fortune colossale, quoi !

— Oh ! je crois bien, dis-je au candidat d’un ton bien humble, piteux et lent ; je crois bien que si je le voulais, je pourrais à la rigueur dire quelque chose. Mais c’est seulement pour vous rendre service, Monsieur, ajoutai-je en m’emparant fiévreusement des deux billets de banque.

Il fut convenu que je me rendrais chez mon oncle pour résoudre les grands problèmes dont la solution devait sauver la Patrie ; puis le dimanche suivant, après la messe, faire mon discours politique sur une pile de planches devenue pour l’occasion une tribune d’éloquence. Le candidat me dit d’orner le buste de mon chef-d’œuvre d’une belle tête et d’une longue queue, que le reste était de peu d’importance.

Retiré dans mon cabinet de travail, belle pièce de la maison de 24 pieds sur 36, — le grenier, — je me mis à l’œuvre. Ma mère vint m’interrompre au milieu d’une de mes plus belles périodes. « Mon fils », me dit-elle, « à ta place je n’irais pas chez ton oncle ; j’ai peur pour ta vocation. » Je répondis que je ne pouvais plus reculer, que j’avais accepté l’argent, que j’avais une

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