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j’étais attendu sans faute. Je demandai conseil à ma tante qui me dit d’y aller ; qu’il ne fallait jamais refuser une invitation chez les gens riches. Je pris donc mon plus beau plumage : mon crin blanc. Ma tante, à force de tirer, a pu faire se rejoindre la veste et le pantalon qu’elle assujettit par deux robustes épingles à châle. « Garde ta jaquette boutonnée et tu peux te présenter devant le Prince de Galles. » Je voulus emporter mon porte-manteau de toile cirée ; je ne voyais pas quel usage je pourrais bien en faire pendant le dîner, mais ça montrerait à Madame L’Heureux que je prétendais être de la classe des messieurs.

Je monte donc en voiture ; je dépose mon inséparable porte-manteau à mes pieds. Comme j’allais m’asseoir, les chevaux partent et vlan ! je vais m’étendre sur le fond du siège en poussant un cri de mourant. Le cocher arrête et demande s’il y a quelque chose de brisé dans la voiture. « Non, dis-je, ce n’est pas dans la voiture, ce sont mes épingles qui sont brisées. » Je descends et rentre chez ma tante en lui disant que ma visite était faite. Elle rit à s’en tenir les côtes ; puis, rafistolant de nouveau mon pantalon, elle me dit qu’en laissant mon habit boutonné je paraissais comme un monsieur. Et me poussant dehors, elle ajouta : « Va, va, ne crains rien. Tu vas revenir avec de l’argent plein tes poches. »

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