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Tout à coup, un butor, surpris de notre visite, se lève des eaux avec grand bruit : les trois fusils résonnent l’un après l’autre… et le butor continue son vol accéléré vers des régions lointaines. Il paraissait être encore en pleine santé lorsqu’il disparut à nos regards attristés. Alors chacun de nous apporta une excuse ; l’un avait tiré trop vite, l’autre trop tard ; le troisième, Alphonse, un franc-tireur, avait oublié de mettre du plomb dans son fusil… Pacôme, le plus sage de nous quatre, n’avait pas tiré pour la bonne raison qu’il n’avait pas d’arme, mais il tenait en main son couteau de poche pour donner le coup de grâce à l’animal. Il nous prouva par Aristote que la vraie cause d’avoir manqué l’oiseau n’était pas celles que nous invoquions mais celle d’avoir tiré à côté. Nous nous inclinâmes tous devant la décision de ce sage de la Grèce.

Continuant notre chemin, nous passâmes à travers le champ d’un cultivateur qui nous cria de loin de sa charge de foin : « Ah ! ça ! soyez de bon compte, mes jeunes, laissez au moins un père et une mère pour l’an prochain. » Nous le lui promîmes et Pacôme l’assura de la vie du père, de la mère et de toute la famille.

Nous quittâmes le ruisseau, témoin de notre humiliation, pour suivre un chemin qui conduisait aux grandes sucreries. Là

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