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Je partis. Le lieu de mon travail était à sept arpents de distance. J’avais peur : un ours avait été vu dans un champ d’avoine quelques jours auparavant. Je devins dévôt et priai pour ne pas être dévoré avant ma clôture finie. J’arrive enfin, j’essaye d’enlever une grosse perche de cèdre ; mes gémissements attirent l’attention d’un gros bœuf malin, gardien du troupeau. Il accourt à la clôture, menace de venir m’attaquer. Perche en main, je l’empêchai de sauter. Je suais à grosses gouttes, j’appelai à mon secours mon ange gardien et tous les saints du Paradis. Mes forces m’abandonnaient, lorsque je vis arriver papa à cheval, une chaudière au bras. « Que fais-tu là, mon garçon ? » — « J’ai peur du bœuf. » — « Tu vas faire un drôle d’habitant. Tiens, dit-il, je t’apporte ton déjeuner. » Et il dépose à mes pieds une chaudière fumante. « Je n’ai pas faim, je ne mangerai pas. » — « Un habitant qui ne mange pas devient vite riche. Je te prédis que tu mourras grand seigneur de la paroisse de Saint-Jacques de Montcalm. » Sans plus dire, il reprend la chaudière, remonte en selle et s’éloigne en me disant de garder « Pataud » pour me préserver des bêtes féroces qui veulent détruire l’herbe de mon champ. J’ai eu envie de dire : « Je vais manger » ; mais quelque chose me retint. Était-ce bien l’humilité ? Je la crois incapable de me jouer un pareil

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