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et voilà le pauvre Zacharie au milieu de la mêlée. Il crie, se démène, mais vlan ! le voilà sur le dos et vingt-cinq moutonnes prennent sa poitrine pour une botte de paille. Te rappelles-tu ? Ah ! oui, tu le racontes souvent, dans quel état j’étais quand tu m’as trouvé. Je me relève tout à coup avec un habit fleuri de toutes sortes de couleurs et une grosse botte de paille dans les cheveux. Et je n’avais pas vu le petit mouton, et je ne voulais plus le voir. Céline, toujours bonne comme aujourd’hui, me l’apporta de la grange pour calmer mes pleurs trop abondants. Après l’avoir soigneusement considéré, je pousse cette phrase qui a tant fait rire Lucie et Azelle, petites sœurs gentilles à croquer : « Allez-vous-en, je ne veux pas voir le petit mouton. Je ne le verrai pas ! » Et le petit mouton devenu gros fut vendu dans l’été deux piastres. Il en valait mille pour les services qu’il m’a rendus !

Que de réflexions j’ai faites pendant ma vie à propos de ce petit mouton ! N’en est-il pas ainsi de toutes nos joies mondaines ? On part, on court, on vole, pour voir le petit mouton. On rit des joies des enfants, mais est-ce que les mondains ne sont pas les pires enfants ? les plus gâtés de tous ? À quoi aboutissent tous les désirs qui n’ont pas Dieu pour fin ? On part, on court, on veut à tout prix voir le petit mouton, puis

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