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xvj
vue générale

avec quel noble enthousiasme le naturaliste qui brave les tempêtes de l’océan pour augmenter le dépôt sacré des connoissances humaines, ne doit-il pas contempler, auprès des montagnes de glace que le froid entasse vers les pôles, ces colosses vivans, ces monumens de la Nature, qui rappellent les anciennes époques des métamorphoses de la terre !

À ces époques reculées, les immenses cétacées régnoient sans trouble sur l’antique océan. Parvenus à une grandeur bien supérieure à celle qu’ils montrent de nos jours, ils voyaient les siècles s’écouler en paix. Le génie de l’homme ne lui avoit pas encore donné la domination sur les mers ; l’art ne les avoit pas disputées à la Nature.

Les cétacées pouvoient se livrer, sans inquiétude, à cette affection que l’on observe encore entre les individus de la même troupe, entre le mâle et la femelle, entre la femelle et le petit qu’elle allaite, auquel elle prodigue les soins les plus touchans, qu’elle élève, pour ainsi dire, avec tant d’attention, qu’elle protège avec tant de sollicitude, qu’elle défend avec tant de courage.

Tous ces actes, produits par une sensibilité très-vive, l’entretiennent, l’accroissent, l’animent. L’instinct, résultat nécessaire de l’expérience et de la sensibilité, se développe, s’étend, se perfectionne. Cette habitude d’être ensemble, de partager les jouissances, les craintes et les dangers, qui lie par des liens si étroits, et les cétacées de la même bande, et sur-tout le mâle et la femelle,