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Une foi aveugle, « indémontrable », voilà de quoi Galien reproche aux chrétiens de se contenter. Il présente la chose comme vérité courante, et de tous reconnue. Saint Justin — que Galien aurait pu rencontrer lors de son premier séjour à Rome, entre 162 et 166 — observait que les chrétiens, à la différence de certains mythologues, ne se contentaient pas d’affirmer, mais qu’ils pouvaient prouver ce qu’ils affirmaient[1]. Vers le même temps, Athénagore proclamait sa volonté de proposer aux païens une foi « raisonnée[2] ». Ils réagissaient l’un et l’autre contre l’état d’esprit qui était celui de Galien, et devait longtemps lui survivre.

VIII

Lucien, déclare Ernest Renan, fut la première apparition de cette forme du génie humain dont Voltaire a été la complète incarnation, et qui, à beaucoup d’égards, est la vérité… Lucien nous apparaît comme un sage égaré dans un monde de fous[3].

Renan, qui n’éprouvait aucune sympathie pour la philosophie du second siècle[4], s’étonnait de rencontrer enfin, en ces temps superstitieux, une intelligence affranchie de tout fanatisme et ennemie résolue de toutes les formes du « surnaturel ». Il est exact que la faculté critique, alors peu en honneur, avait pris chez Lucien une acuité extraordinaire. Les préoccupations mystiques et théologiques dont se piquaient la plupart de ceux de ses contemporains qui

  1. 1re Apol. i, 53.
  2. Leg. § 8 : ἵν’ ἔχητε καὶ τὸν λογισμὸν ἡμῶν τῆς πίστεως.
  3. Marc-Aurèle, p. 376. La comparaison indiquée par Renan, entre Lucien et Voltaire, a été développée par Gaston Boissier, dans La Revue des Deux-Mondes, 1879, I, 98 et s.
  4. Ibid., p. 677, et Correspondance I (1926), p. 292.