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Ici, il faut traduire le texte, dont la transposition est assez délicate[1] :

Nous avançons vers le large, et voici que surgit Capraria. L’île est pleine, elle pullule de ces hommes qui fuient la lumière. Ils s’appellent eux-mêmes les « moines » (c’est un surnom qui vient du grec[2]), parce qu’ils veulent vivre seuls et sans témoin. Ils craignent les faveurs de la fortune, comme ils en redoutent les rigueurs. Se peut-il qu’on se rende volontairement malheureux, par peur de le devenir ! Qu’est-ce que cette sotte frénésie de cerveaux détraqués ? Parce qu’on craint les maux de la vie, ne pas savoir en accepter les biens ! Sont-ils donc des forçats qui cherchent un endroit où expier leurs crimes[3] ? Ou faut-il supposer qu’un fiel noir gonfle leur triste cœur ? C’est ainsi qu’à en croire Homère un excès de bile causait l’humeur morose de Bellérophon, ce jeune héros qui, blessé par les traits d’un chagrin cruel, prit en horreur, dit-on, le genre humain.

Le soir de ce cinquième jour, Rutilius descend à Volaterrae, où une bourrasque le retient jusqu’au surlendemain. Pendant le trajet de Volaterrae à Pise, il aperçoit l’île d’Urgo (Gorgone) et un souvenir pénible vient l’assaillir[4].

Du milieu de la mer émerge au-dessus des flots Urgo, entre la côte de Pise et celle de Cyrnos (= la Corse). Nous avons sous les yeux ce rocher qui évoque un scandale récent. C’est là qu’un de nos concitoyens s’est perdu, s’est enseveli vivant. Car naguère encore il était des nôtres, ce jeune homme qui, issu d’ancêtres de haute qualité, restait

  1. Vers 439 à 452.
  2. Μοναχός, au sens chrétien, apparaît pour la première fois dans le Commentaire d’Eusèbe de Césarée (mort vers 348) sur le psaume 67 (68) (τὸ γοῦν πρῶτον τάγμα τῶν ἐν Χριστῷ προκοπτόντων τὸ τῶν μοναχῶν τυγχάνει· σπάνιοι δέ εἰσιν οὗτοι : « la première catégorie de ceux qui progressent dans le Christ est donc celle des moines : mais ceux-ci sont rares »). C’est saint Jérôme qui l’a employé le premier sous sa forme latinisée monachus (monacha) : pour lui, le « moine n’est essentiellement celui qui est seul ; cf. Ép. 14, 6, ad Heliodorum (Patrol. lat., 22, 583) : « Interpretare vocabulum monachi, hoc est tuum ; quid facis in turba, qui solus es ? »
  3. Le sens de ce vers (Sive suas repetunt factorum ergastula poenas) reste assez douteux, et le texte lui-même n’est pas sûr. Ergastula peut signifier soit lieu de correction, « bagne », soit esclaves punis, détenus, forçats. Outre le sens ci-dessus, on pourrait entendre : « Cherchent-ils donc des ergastules, châtiments des crimes qu’ils ont commis ? »
  4. Vers 515-526.