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une fois l’instruction commencée, on dut provoquer leurs dénonciations par tous les moyens, y compris, sans aucun doute, la torture ; et ainsi, de proche en proche, le nombre des inculpés grossit au point de devenir une « immense multitude ». Si Tacite avait admis que les chrétiens fussent vraiment des incendiaires, et se fussent désignés eux-mêmes comme tels, pourquoi aurait-il tu, au début de son récit, cette constatation vérifiée ? Et pourquoi, à la fin, eût-il nié que les suppliciés aient été sacrifiés à l’intérêt public ? La vindicte sociale n’appelait-elle pas un châtiment sans pitié, à titre de sanction et d’exemple ?

Tacite tient les chrétiens pour une vile multitude, pour un dangereux ramas. Mais, dans sa pensée, c’est au palais impérial qu’il faut chercher le vrai responsable de la catastrophe. Et c’est bien en ce sens que la tradition antique, la païenne et la chrétienne, s’est tout entière prononcée[1].

VI

Nous ne savons pas, je l’ai dit, comment le christianisme avait constitué à Rome ses formations du début, ni quels missionnaires l’y avaient apporté. Il paraît probable que la prédication chrétienne se fit d’abord dans les synagogues juives. Les Juifs étaient, de longue date, fort nombreux à Rome et fort remuants. Cicéron ne se sentait point rassuré pour sa sécurité personnelle, quand, en 59 avant notre ère, il plaidait pour L. Valerius Flaccus, lequel avait brimé les Juifs d’Asie : c’est qu’il connaissait la solidarité de ce peuple, et son art de remuer les assemblées

  1. Voy. déjà le tribun Subrius, dans Tacite, Ann. XV, 67.