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son travail une position honorable et cela doit lui suffire. Il n’est pas nécessaire le moins du monde que ses collègues ne puissent être plus riches que lui. Ce n’est pas dans le revenu, c’est dans le titre et le rang académique que doit être l’égalité.

Il pourrait donc arriver qu’un agrégé fùt plus suiviqu’un professeur, et se trouvât plus haut placé que le titulaire ? — Sans doute, c’est là une des conséquences possibles de la liberté du professeur ; mais le système actuel, qui compromet l’éducation de milliers d’individus pour ne pas porter ombrage à l’amour-propre d’un individu, n’a-t-il pas un défaut bien plus grand ? Et enfin, à tout prendre, y a-t-il un mal réel à ce que le professeur qui faiblit ou vieillit puisse s’apercevoir de la fatigue des années, et, avec le concours de l’État, chercher dans la magistrature ou les bibliothèques quelque retraite honorable ? En Allemagne, il y a dans le succès du professeur rival un avertissement souvent écouté, et le solve senescentem prononcé par une jeunesse impartiale n’est point’perdu. Personne, au moins, hormis le professeur. ne souffre de son infériorité ou de son affaiblissement. Et si l’État indemnise un vieux serviteur, ce n’est pas en lui sacrifiant l’avenir scientifique des jeunes générations.

Enfin, il faut bien considérer que le traitement proportionnel est le complément indispensable de la liberté du professorat. Vous ne pouvez pas espérer multiplier les leçons sans ce stimulant, car le professeur est homme, il faut qu’il vive ; et si l’enseignement ne lui donne pas des moyens d’existence, il faut qu’il les cherche ailleurs, comme répétiteur, comme savant, comme écrivain. L’exemple des suppléants parle en ce point plus haut que tous les raisonnements. Tout au contraire, le traitement proportionnel attache le maitre à l’enseignement, et lui fait concentrer sur ce seul point tous ses efforts et tout son génie car son intérêt et son honneur sont d’accord ; et il ne peut obtenir la gloire sans obtenir en même temps la fortune. Quelques mécomptes individuels, le froissement de quelques amours-propres ne sont rien auprès de l’avantage énorme que promet à l’État une organisation assez parfaite pour ménager à la fois la liberté