Page:Laboulaye - Quelques réflexions sur l’enseignement du droit en France.djvu/39

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sée à cette science qui ne le mène à rien ? mais c’est le contraire qui serait un prodige !

Le système d’examens a encore un autre défaut grave, qui touche l’État autant que les étudiants. Non-seulement il donne à l’éducation une direction forcée, comme nous venons de le montrer, mais les études mêmes qu’à choisies le gouvernement, il les fausse. En d’autres termes, il y a dans chaque Faculté non-seulement une science officielle, mais un droit romain, un droit civil tout particuliers. Chaque Faculté, chaque professeur a ses doctrines propres ; pour réussir à l’examen, il faut les connaître ; il faut épouser les idées et même les préjugés de celui qui interroge, car ce qui est vérité pour l’un ne l’est pas toujours pour l’autre et telle théorie sur l’usufruit ou le mariage peut changer du blanc au noir la couleur de la boule entre les mains de tel ou tel professeur. De là, pour le candidat, nécessité d’étudier, non point la science en elle-même, mais les idées particulières du maître ; nécessité de préférer au meilleur livre le premier manuel où ces idées, bonnes ou mauvaises, sont consignées. Ainsi on ne lui laisse même pas l’usage de son libre arbitre dans le cercle étroit tracé par l’État.

Cet inconvénient, qui tient du reste moins à l’examen en lui-même qu’à l’organisation du jury, n’est point particulier à l’École de droit. Les médecins élèvent les mêmes plaintes, et avec raison. Supposons en effet (et cette hypothèse n’est peut-être pas loin de la réalité), supposons qu’une Faculté n’accepte pas tout d’abord le progrès scientifique (quelle compagnie savante n’a pas commis de semblables erreurs !) ; que, par exemple, à une époque où l’histoire s’est fait admettre comme un élément nécessaire de toutes les connaissances humaines, et a renouvelé toutes les méthodes, il se trouve quelque part une École qui repousse obstinément les recherches historiques comme une inutile curiosité ; qu’arrivera-t-il ? la science se développera en dehors de la Faculté ; il y aura sur le droit romain comme sur le droit français un renouvellement de doctrines qui changera l’esprit juridique de la nation tout entière, et qui se fera jour par la jurisprudence