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Talleyrand, qui laissent leur parti au moment où ce parti se perd par ses fautes, et le lendemain de la chute de leurs amis rentrent au pouvoir avec l’opposition. Il ne manque pas d’historiens pour exalter l’esprit infini, les ressources incroyables de ces habiles politiques qui, dit-on, sont toujours demeurés fidèles à leurs idées. Pour moi, je l’avoue, je n’ai qu’une très-médiocre estime pour ces gens versatiles qui, ce me semble, ne restent fidèles qu’à leur ambition. Et quant à cette prescience qui leur révèle la ruine imminente de leur parti, elle me paraît d’autant moins admissible, que ce sont eux qui généralement décident cette chute dont ils doivent profiler. À cette classe de sceptiques en politique, trop nombreux malheureusement en des temps agités comme les nôtres, il manque des qualités qui ne viennent point de l’esprit, mais du cœur, j’entends cette probité politique, ce dévouement à la cause qu’on a embrassée, sans quoi il n’y a point de grand caractère, ni de renommée durable. Suivre un parti dans ses égarements, c’est folie ; se tourner contre lui, c’est l’effet d’une lâche ambition ; l’honneur a d’autres conditions. On peut avant le danger quitter son drapeau ; mais on ne doit jamais le combattre sous des couleurs étrangères. Aussi, avec une grande intelligence, des talents véritables, et plus de courage que n’en ont ordinairement ces adorateurs de l’opinion et de la fortune, Shaftesbury, comme Talleyrand, a-t-il marqué dans l’histoire bien plus comme un intrigant de génie, que comme un homme d’État ; et la Constitution de la Caroline est là pour prouver combien ces politiques, qui entendent si parfaitement leurs affaires, qui savent si bien tourner à leur profit les hommes et les choses, se méprennent souvent sur les conditions véritables du pays dont ils se disputent le gouvernement.