Page:Laboulaye - Histoire politique des États-Unis, tome 3.djvu/513

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tribunal ne voit que la loi. Voilà ce qu’il faut conserver dans la démocratie ; c’est la chose essentielle, et c’est pour cela que, plus encore qu’à la monarchie, il lui faut des juges non électifs et inamovibles. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas qu’il y ait de jury ; mais, alors même que le jury est institué, il faut que le président du jury soit indépendant. Il ne sera jamais indifférent que le jury soit conduit par un homme qui n’ait rien à craindre ni à espérer de personne, et qui ne connaisse que la loi.

Vous voyez combien la justice a un caractère essentiellement politique et combien peu nous avons compris cette vérité. Voilà pourquoi toutes nos constitutions ont échoué. Elles ont toujours été calculées pour assurer le triomphe de la volonté populaire, mais jamais pour assurer le triomphe de la justice et de la liberté. Justice et liberté sont cependant deux mots synonymes : vous ne trouvez jamais une liberté qui ne soit juste, et vous ne respectez jamais les droits de l’individu sans respecter sa liberté. La différence est dans les mots, elle n’est pas dans les choses. La liberté, c’est la faculté de nous développer nous-mêmes. Développer notre corps, notre esprit, notre cœur : voilà notre liberté, c’est en même temps notre droit. La justice arrive pour fixer les limites entre notre développement et celui du voisin, pour empêcher tout empiétement. En apparence, c’est une limite de la liberté ; au fond, c’est la protection de la liberté, c’est la garantie du plein développement de chaque individu. Justice et liberté se tiennent donc. Je dirais volontiers que la justice et la liberté ont la même