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qui soit contraire à la meilleure justice possible ? Quel droit au monde peut empêcher un peuple de se faire rendre la justice de la meilleure façon possible ? Il n’y a pas de question de principe engagée, sinon quand on confond, comme on l’a fait en 93, le pouvoir du peuple et la liberté. Le pouvoir du peuple n’est que le règne d’une majorité, ce n’est pas du tout le règne de la liberté. Le règne de la liberté, c’est le règne de la loi, sagement faite, sagement appliquée, et c’est le besoin de s’assurer ce bienfait qui a fait établir l’inamovibilité des magistrats.

L’inamovibilité, le premier exemple que nous en trouvions, c’est en Espagne, en 1442. Les Aragonais demandèrent au roi que leurs juges fussent inamovibles, car ils commençaient à s’apercevoir que les rois ont la main longue, et qu’ils destituaient trop facilement les juges qui ne leur convenaient pas. Ils virent dans l’inamovibilité une protection contre la royauté, et vous savez que la justice d’Aragon fut, en effet, jusqu’au règne de Philippe II, la garantie des libertés nationales : il fallut la briser pour détruire les fueros.

En Angleterre, en 1688, la première chose que demandent les Anglais, c’est que les juges deviennent inamovibles, et ce n’est qu’à partir de ce moment que la magistrature anglaise prend son grand caractère. Sous Jacques II, on avait vu des juges révocables faire toutes les bassesses imaginables, ce qui prouve que l’inamovibilité est nécessaire à l’indépendance des magistrats. Voulez-vous appeler les hommes les plus ca-